: Vrai ou faux Pourquoi on ne peut pas nier le passé antisémite de Jean-Marie Le Pen
Une lecture du passé qui ne passe pas. "Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite", a déclaré le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, dimanche 5 novembre sur BFMTV. Cette affirmation faite par l'héritier politique du fondateur du Front national a créé la polémique et mis dans l'embarras le parti d'extrême droite. Car il suffit de se replonger dans les déclarations du père de Marine Le Pen pour constater que son parcours politique a été jalonné de provocations antisémites qu'il n'a jamais reniées.
En 1986, c'est bien pour son "antisémitisme insidieux", selon les mots du juge, que la justice condamne Jean-Marie Le Pen, comme le relate à l'époque Le Monde. Un an plus tôt, lors d'un meeting du Front national au Bourget (Seine-Saint-Denis), le fondateur du FN, à la tribune, cible des journalistes juifs ou d'ascendance juive, en saluant son public. "Je dédie votre accueil à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Ivan Levaï, à Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays. Ces gens-là sont la honte de leur pays. Monsieur Lustiger [alors archevêque de Paris] me pardonnera ce moment de colère, puisque même Jésus le connut lorsqu'il chassa les marchands du Temple, ce que nous allons faire pour notre pays."
Les juifs et les médias : ce thème est récurrent dans la bouche de Jean-Marie Le Pen. En mai 1990, sur le plateau de l'émission "L'Heure de vérité" sur Antenne 2, cette question lui est posée : "Pensez-vous, comme 88% de vos cadres, que les juifs aient trop de pouvoir en France aujourd'hui ?" Le patron du FN répond : "Ça dépend dans quel domaine... Que les juifs aient beaucoup de pouvoir dans la presse, comme les Bretons en ont dans la marine et les Corses dans les douanes, ça ne me paraît pas discutable. Que les gens du Front national qui se sont aperçus qu'un certain nombre de lobbies juifs, comme celui de monsieur Kahn, leur aient fait une persécution systématique, ils ont l'impression d'en voir beaucoup, c'est vrai." Jean-Marie Le Pen emploie là des poncifs de la pensée antisémite, en évoquant de prétendus "lobbies juifs" et une supposée "persécution systématique".
Il a répété que les chambres à gaz étaient un "détail de l'histoire"
Les propos du fondateur du FN l'ont d'ailleurs régulièrement conduit devant la justice. En 1987, dans l'émission "Le Grand Jury" sur RTL, il déclare, à propos des chambres à gaz dans lesquelles des millions de juifs d'Europe furent exterminés par les nazis : "Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale." Cette déclaration lui vaut une condamnation pour banalisation de crime contre l'humanité. Il emploiera pourtant à nouveau cette formule du "détail de l'histoire" à plusieurs reprises au fil des années.
Il est à nouveau condamné, cette fois pour contestation de crime de guerre contre l'humanité, après avoir déclaré en 2005, dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol, qu'"en France du moins, l'occupation allemande n'a pas particulièrement été inhumaine, même s'il y a eu des bavures". Il est encore condamné, pour injure publique cette fois, lorsqu'en 1988 il tourne en dérision le nom de Michel Durafour, ministre de la Fonction publique, en parlant de "Monsieur Durafour crématoire". En 2019, le multicondamné Jean-Marie Le Pen écrivait encore dans ses Mémoires : "L'antisémitisme garantit l'homogénéité du groupe juif, les sionistes le savent."
D'anciens Waffen SS dans son entourage
Les fréquentations de Jean-Marie Le Pen sont également révélatrices. En 1972, lorsque le FN est créé, figure parmi les fondateurs un certain Pierre Bousquet, ancien Waffen SS durant la Seconde Guerre mondiale. Léon Gaultier, autre membre fondateur du FN, a aussi porté l'uniforme SS. Il le raconte dans un reportage d'"Envoyé spécial" diffusé en 1992 sur Antenne 2, photo à l'appui. "Oui, ça, c'est moi en uniforme SS, uniforme que j'ai porté pendant plus de deux ans, parce que j'étais engagé volontaire dans la Waffen SS, qui était dépendante de l'armée allemande, mais qui n'était pas l'armée allemande."
En 1963, Jean-Marie Le Pen avait fondé avec ce même Léon Gaultier la SERP, société d'études et de relations publiques, une maison d'édition qui publiera notamment un disque recueil de chants du IIIe Reich. Et qui lui vaudra une condamnation pour apologie de crime de guerre.
A rebours des propos tenus par Jordan Bardella, une députée RN, Mathilde Paris, élue du Loiret, a quant à elle estimé mercredi sur BFMTV penser "à titre personnel" que Jean-Marie Le Pen "était" antisémite. Dans un entretien au Journal du dimanche mercredi après-midi, Jordan Bardella a finalement affirmé "reconnaître les condamnations de Jean-Marie Le Pen par la justice", "un fait qu'on ne peut pas, par définition, réfuter", mais sans revenir pour autant sur ses propos initiaux.
Mercredi matin, Marine Le Pen a rappelé sur RTL qu'elle avait exclu son père de son parti en 2015, après qu'il avait réitéré ses propos sur la Shoah, considérant "qu'il y a des sujets sur lesquels on ne peut laisser naître aucune ambiguïté".
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