A l'Assemblée nationale, un triomphe sans combat pour la loi sur le renseignement
Les députés ont adopté mardi à une large majorité ce texte pourtant très controversé. Reportage.
"Ça fait beaucoup, quand même..." Assis sur un canapé, au centre de la salle des Quatre colonnes où journalistes et députés se rencontrent, le député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy laisse entrevoir un peu de déception. Le projet de loi sur le renseignement, qui renforce considérablement le champ d'action et les moyens des services éponymes, et contre lequel l'élu s'était engagé, vient d'être adopté par une large majorité de parlementaires. Au total, mardi 5 mai, 438 députés ont voté pour, 86 contre, et 42 se sont abstenus.
Les opposants n'ont pourtant jamais eu de mots assez forts pour dénoncer le projet de loi, jugé "liberticide". Le texte est ainsi accusé de rendre possible une "surveillance de masse" de la population, notamment par le biais de "boîtes noires" installées chez les grands acteurs du web, et chargées d'observer l’ensemble du trafic internet en France à la recherche de "comportements suspects" qui seront ensuite signalés aux services. Le trop faible pouvoir de contrôle de l'action de ces derniers par une commission indépendante a également été pointé du doigt.
Gilbert Collard vole la vedette à la loi
Signe que le projet était loin de faire consensus sur le fond, 75 députés emmenés par les UMP Laure de la Raudière et Pierre Lellouche ont annoncé le matin du vote une saisine parlementaire du Conseil constitutionnel "pour obtenir les réponses qu'ils n'ont pas eues du gouvernement". Si la plupart d'entre eux font partie de l'opposition, Pierre Lellouche n'a pas manqué de signaler la présence parmi les signataires de la députée apparentée écologiste Isabelle Attard, ainsi que le soutien public à la démarche du socialiste "frondeur" Pouria Amirshahi.
Dans la salle des Quatre colonnes, pourtant, difficile de se rendre compte qu'un projet de loi aux enjeux cruciaux est sur le point d'être soumis au vote des parlementaires,ce mardi après-midi. Quelques minutes avant les traditionnelles questions au gouvernement, les caméras et les micros sont braqués sur le député du Rassemblement Bleu Marine Gilbert Collard, que l'on interroge sur les querelles internes au Front national.
Polémique entre Le Pen, scandale Ménard... @GilbertCollard vole la vedette au #PJLRenseignement pic.twitter.com/Un3usbBrB4
— Vincent Matalon (@vincent_ftv) May 5, 2015
Au milieu de questions sur le projet de loi décrié, les autres députés sont interrogés sur le troisième anniversaire de l'arrivée de François Hollande à l'Elysée, la tribune contre le sexisme des hommes politiques parue le matin dans Libération, mais surtout sur la polémique du jour sur le fichage des élèves à Béziers (Hérault). L'ambiance n'a rien à voir avec celle, électrique, qui régnait au même endroit à la mi-février, lors du recours à l'article 49.3 par le gouvernement pour la loi Macron. "[Robert] Ménard a réussi à parasiter la loi sur le renseignement !", sourit -un peu jaune- une journaliste.
Les critiques balayées
La plupart des élus qui s'expriment au sujet de la loi sur le renseignement écartent les critiques d'un revers de main. La procédure accélérée a-t-elle nui à la sérénité des débats parlementaires ? "Le renforcement des services de renseignement était étudié dans les ministères depuis les attentats commis par Mohamed Merah en 2012, rien n'a été fait à la va-vite", balaie Carlos Da Silva, député socialiste proche de Manuel Valls. Les outils créés par la loi pourraient-ils devenir dangereux s'ils tombaient entre de mauvaises mains ? "On aurait vraiment tort de ne pas se protéger des jihadistes sous prétexte que l'on craint un retour du maréchal Pétain", rétorque Patrick Mennucci, élu PS des Bouches-du-Rhône.
Même chez les "frondeurs" de la gauche, les critiques sont tempérées. Pascal Cherki, figure de la contestation dans la majorité parlementaire, juge bien que la loi "accorde une importance excessive au renseignement technologique", mais "le cadre légal qui encadre les pratiques des services" le pousse à se contenter d'une abstention. Même choix pour l'écologiste Véronique Massoneau, qui parle d'"une loi très technique, qui se trouve sur une ligne de crête entre libertés et sécurité".
A peine le texte validé, Manuel Valls se présente -fait rarissime- devant les journalistes présents dans la salle des Quatre colonnes. Il se félicite de la "très large majorité" que le texte a permis de réunir. Et salue dans la foulée la "très grande responsabilité" de l'Assemblée nationale, qui "a considéré qu'il fallait se rassembler" derrière le projet de loi malgré des "polémiques parfois inutiles, et des accusations parfois insupportables quant à l'aspect liberticide" qu'aurait le texte.
"Ce vote, on le regrettera un jour"
Son intervention terminée, les opposants au texte ne masquent pas leur dépit. "Je constate avec inquiétude le glissement sécuritaire de la France, comme d'autres grandes démocraties modernes. Ce vote, on le regrettera un jour, quand un Snowden français révèlera les dérives de cette loi", lâche, amer, le socialiste "frondeur" Pouria Amirshahi.
L'UMP Lionel Tardy est également fataliste. "Cette loi, comme Hadopi ou la loi de programmation militaire, était très technique et difficilement accessible. Dans ce genre de cas, les députés se rangent derrière une logique de groupe", explique-t-il. Pour lui, l'opposition au texte a réussi à se faire entendre sur le web et les réseaux sociaux. "La vérité, c'est que la plupart des Français jugent que s'ils n'ont rien à se reprocher, ils n'ont rien à cacher, alors que la loi est plus complexe que cela. Ce week-end, dans ma circonscription, on m'a parlé d'emploi, d'éducation, de la montée du FN... Du renseignement, jamais", conclut-il, un brin résigné.
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