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Fallait-il partir en reportage à Notre-Dame-des-Landes en anonyme ?

Retour sur notre série de reportages à Notre-Dame-des-Landes, réalisée sous couvert d'anonymat. Explications et coulisses.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un opposant transporte une palette de bois peu avant une barricade, sur le site du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le 11 décembre 2012. (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

Comment vivent les opposants à l'"Ayraultport" ? Qui sont-ils exactement ? Responsables associatifs et politiques ont pris la parole dans des reportages, comme celui-ci du Monde ou celui-là, de Libération. Mais les principaux intéressés s'expriment peu, ou à la marge. La rédaction de francetv info décide de m'envoyer sur place, puisque je suis avec attention cette actualité. Direction Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) et la zone d'aménagement différé (ZAD) du futur aéroport, où vivent des centaines d'opposants au projet.

Les journalistes ne sont pas les bienvenus

Quelques contacts avec des confrères m'indiquent que le climat est assez tendu sur place. L'un d'eux me décrit l'accueil aux cris de "collabo", l'impossibilité de tourner des images et de discuter avec les "zadistes". De manière générale, les médias sont accusés de biaiser le récit de leur lutte et de désinformer l'opinion. Ces difficultés ont déjà été relatées par nos confrères de RennesTV ou de l'AFP. Plus qu'un rappel des enjeux économiques et environnementaux du projet, c'est la vie sur place que nous voulons décrire. Pour pouvoir me déplacer sur la zone, nous décidons donc, avec ma rédaction, de ne pas me présenter comme journaliste.

Un bonnet de laine sur la tête, je suis pris en stop par une guérisseuse et arrive donc accompagné, mardi 8 janvier. Je décide de ne pas utiliser mon smartphone, pour ne pas attirer l'attention. Dans la poche, un téléphone basique, équipé d'une carte rechargeable. Dans le sac à dos, quelques médicaments, déposés en arrivant à la pharmacie locale. Dans la tête, des citations entendues et apprises par cœur, puis retranscrites sur un carnet deux fois par jour, sous la tente. Le procédé a suscité critiques et interrogations, tant chez les confrères que chez les sympathisants. 

A leur décharge, les "zadistes" ont des raisons de se méfier : "la presse" leur a déjà fait le coup, à l'instar du Figaro en décembre. J'apprends sur l'un des campements qu'un journaliste "a passé trois jours là, à faire copain-copain. Quand l'article est sorti, on était vénèr', il nous a fait passer pour des drogués et des alcooliques."

Partager le quotidien des différentes communautés

Surtout, les occupants redoutent les gendarmes infiltrés. "Sachez que si vous n’avez pas ni cheveux longs ni vêtements trop cool et que vous êtes un homme seul, vous risquez d’être pris pour un flic", signale le site des militants. "Nous avons vécu cette situation : 10 flics déguisés en insurgés embarquent sur une barricade quatre de nos camarades", ajoute ce document (doc Word). La nuit, il faut traverser la forêt. Un puissant projecteur de gendarmerie m'éblouit dès que j'allume une lampe. Surréaliste. Les "zadistes", eux, sont habitués depuis longtemps à cette drôle d'ambiance.

Parcourir la ZAD n'est en rien périlleux, l'ambiance est plutôt bonne. Mais tous les occupants ne viennent pas pour les mêmes raisons. Les comptes-rendus devant la presse se cantonnent souvent aux mêmes lieux, situés à l'accueil, alors qu'il existe une vingtaine d'installations. Pour approcher ces différentes communautés, il fallait circuler librement sur la ZAD.

Peu après la parution du premier article, j'ai reçu un long appel émaillé d'insultes, qui n'appelait aucune réponse. Mais je reste persuadé que, pour mieux parler d'eux, je devais partager leur dîner, marcher, porter des palettes de bois, dormir sous la tente.

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