Rumeurs, paranoïa et état de siège à Notre-Dame-des-Landes
Ils vivent depuis des mois au cœur du bocage nantais. Mais les opposants à l'aéroport du Grand Ouest en sont sûrs, un jour ou l'autre, les gendarmes viendront les déloger. Reportage.
"Hier soir, j'ai vu un mec qui me posait de drôles de questions. J'ai mis ma cagoule et je l'ai fouillé. Il n'avait rien." Un brin de paranoïa règne à La Sécherie, l'un des sites occupés par les opposants au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Au cœur du bocage nantais, des militants squattent depuis des mois une vingtaine de sites parsemés sur 2 000 hectares de bois et de champs menacés par les plans du constructeur Vinci.
Plus que tout, on se méfie des "bleus" infiltrés dans la zone. La rumeur assure qu'une intervention armée doit avoir lieu la semaine du 14 janvier pour les en expulser. De toute façon, un jour ou l'autre, les gendarmes reviendront. Alors en attendant, ils se préparent. Les promoteurs de l'infrastructure l'appellent la ZAD, zone d'aménagement différé de l'aéroport. Mais pour les opposants, c'est avant tout une "zone à défendre". Par tous les moyens.
De la rumeur au conseil de guerre
"Radio Klaxon, radio pouet pouet !" Entre un morceau de Renaud et un autre des Pink Floyd, la rumeur est balancée sur la fréquence pirate qui arrose le site. Les forces de l'ordre pourraient bien débarquer la semaine du 14 janvier. Sous le chapiteau jaune de la cantine collective, un grand barbu s’inquiète à l'heure de la vaisselle. "Vous avez entendu ? Ils ne viennent pas pique-niquer, ces bons petits soldats. Et dire que c’est nous qui les payons."
Une réunion d’urgence est convoquée à La Châtaigneraie, le site qui accueille les AG. Dans la salle, une cinquantaine d'opposants. Le parquet est couvert de boue et la lumière peine à entrer. Firmin (*), un grand type sec à la voix posée, explique qu'un CRS aurait "lâché le morceau" à un sympathisant, au cours d'un Nouvel An trop arrosé. Ce n’est qu’une rumeur, une de plus, mais elle est prise au sérieux.
La séance de brainstorming débute. Un château-donjon ? Les opposants manquent de bois, de bras et de temps. "Une brigade activiste de clowns" ? Bof. "Ce qui a fait gagner pas mal de guerres, explique un grand roux en chemise à carreaux,c’est la guérilla. Des groupes de 2 à 5 personnes qui balancent un cocktail Molotov et courent un kilomètre jusqu’aux prochains gendarmes, qui sont stressés et n'arrivent plus à progresser." Une main se lève. "Faudrait rappeler au début des réunions de retirer les batteries des téléphones portables." Un autre acquiesce. "Il y a des flics infiltrés dans la salle si ça se trouve. Ils sont partout." Ainsi vit la ZAD, entre moments de répit et mobilisation générale.
Cocktails Molotov, boulons et lunettes de plongée
Postés sur les deux axes stratégiques de la ZAD, les barrages de gendarmes sont indiqués par une tête de mort sur la carte remise aux arrivants. Les occasions ne manquent pas de "tester" les forces de l'ordre. Comme un soir de la semaine précédente. Éclairés par un brasero, deux types versent de l'essence dans des bouteilles en verre, qu'ils fourrent de tissu rouge. En face, le projecteur des gendarmes inonde l'obscurité et dessine leurs silhouettes. Un premier cocktail Molotov éclate sur le bitume, dans un grand champignon de feu. Un second frappe un arbre, un dernier file dans le fossé. Guère menacés car postés à distance, "les bleus" n’ont pas réagi. Les artificiers amateurs se marrent. "Ça, c’était juste pour les chauffer." La fin du bidon d'essence est vidée au sol, puis allumée au briquet.
Deux jours plus tard, nouvelle escarmouche. Cinq gendarmes mobiles tombent nez à nez avec les mêmes gaillards. Pendant qu'ils se replient fissa, une dizaine d'opposants masqués raboulent. Grâce aux talkies-walkies, les nouvelles vont vite sur la ZAD. Au loin, un gendarme mitraille à l'appareil photo les opposants. Finalement, fumigènes et pétards sont rangés.
Des éclats de miroirs constellent la forêt, dans l'espoir d'éblouir les gendarmes. Des lance-pierres récupérés dans des surplus militaires sont prêts à éjecter leurs boulons. Au bord des chemins boueux, des seaux remplis de bouteilles en verre annoncent de futures explosions. Pour contrer l'effet des gaz lacrymogènes, les "zadistes" misent sur les lunettes de plongée, le citron ou le sérum physiologique. "De toute façon, que tu sois pacifique ou non, les flics te traitent pareil. Ils te gazent et t'envoient des coups de flash-balls", résume Guillaume, attablé au comptoir d'une taverne de fortune. Tous ne prendront pas les armes. Mais ici, la violence est considérée comme légitime face à "l'occupation militaire".
"César", "Astérix" et les irréductibles
Opération César. Voici le nom générique donné aux expulsions et aux destructions de cabanes, débutées le 16 octobre. En réponse, les "zadistes" ont lancé une opération Astérix de reconquête, le 17 novembre. Quant à Idéfix, il a laissé la place à une cinquantaine de bâtards en mal de croquettes et sacrément bruyants. Lors des violents affrontements du 23 novembre, 9 opposants ont été interpellés. A 65 ans, Ferdinand a ainsi passé 28 heures en garde à vue pour "participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser". Et s'en vante encore, dans un sourire sans dents. "Toutes les polices de France me connaissaient mais eux, pas encore." Sur la ZAD, une telle expérience force le respect.
Sur la vingtaine de lieux occupés, deux ont été décrétés non-violents : La Châtaigneraie et Les Sabots. Ailleurs, tout est permis pour résister. En attendant, les barricades qui ponctuent l'ancien chemin de Suez sont renforcées. Les comités de soutien ont été avertis de la menace et des renforts sont attendus, prêts à en découdre. Parmi eux, les gendarmes redoutent la présence des Black Blocs, émeutiers aguerris des luttes altermondialistes. Le rapport de force est pourtant inégal. Au total, 500 gendarmes ont déboulé en même temps lors de la dernière intervention. Au sortir de la réunion, Adrien allume une cigarette, son bonnet vissé sur la tête. "On est dans la merde."
Gendarmes et gens d'armes
Un réseau informel livre des informations aux "zadistes", au moindre rassemblement de gendarmes dans les villes alentours. Certains jours, un hélicoptère survole la zone. Dans ce dossier ultrasensible, la moindre intervention est vécue comme une provocation. Des arrêtés préfectoraux proscrivent régulièrement le transport de carburant, d'explosif, de produit inflammable ou de feu d'artifice. A La Rolandière, près de l'accueil de la ZAD, un panneau signale que les véhicules sont susceptibles d'être contrôlés. Même punition pour les piétons. Du coup, la plupart préfèrent couper à travers champs.
Deux militants sont actuellement en prison, affirment les "zadistes". Alors forcément, on se prépare. Au squat du "Far Ouest", le numéro d'une avocate est affiché au mur. Là encore, méfiance. Un tract distribué à l'entrée rappelle : "L'avocat n’est pas forcément ton complice, tu n’es en rien obligé de tout lui raconter, ni de lui faire entièrement confiance." Au milieu d'un champ, dans le calme absolu, Julien transporte des bâches pour améliorer un campement. A chaque pas, le géologue grenoblois s'enfonce de trente centimètres dans la boue. Plein les bottes ? Pas encore. "T'imagines à Verdun pendant la guerre 14-18 ? Ils ont dû en chier dans les tranchées. Et eux, ils n'avaient pas le choix."
(*) Tous les prénoms ont été modifiés. Reportage réalisé sous couvert d'anonymat.
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