Qui sont les Roms (2/5) ? "Quand j'étais mineur, je volais du cuivre"
Francetv info a rencontré Elvetian, 23 ans, déjà reconduit en Roumanie trois fois et revenu à chaque fois.
Quand il ne zone pas devant la Gare du Nord à Paris, Elvetian* "se balade", "fait un peu de business". Ce Rom de 23 ans en paraît 30, malgré quelques traces d'acné encore visibles qu'il cache sous une barbe peu soignée. Né à Craiova, il quitte l'école et la Roumanie à l'âge de 13 ans avec ses parents, son frère et sa sœur. Direction l'Italie où il récolte des tomates durant trois ans avant d'atterrir à Massy, en région parisienne, en 2006 et de déménager à Provins (Seine-et-Marne), il y a trois ans.
Intermédiaire entre "ceux qui volent" et "ceux qui rachètent"
Depuis, c'est la débrouille. Petit, trapu, Elvetian a d'abord longuement cherché à négocier son interview : "Le temps que je passe avec toi, je ne gagne pas d'argent." Puis s'est bien assuré qu'on ne portait ni micro ni caméra cachés. Finalement, il vide son sac, dans un français correct, oscillant entre franc sourire, auquel il manque l'incisive droite, et froncements de sourcils fournis, au dessus de ses petits yeux noisette.
Sur le parvis, il fait office d'intermédiaire entre "ceux qui volent" et "ceux qui rachètent". De la poche de son jean, il sort quelques cartes défraîchies de magasins des alentours. Les bijoux en or trouvent généralement preneur à bons prix pas loin derrière la gare. Les portables, eux, échouent dans divers "taxiphones" de l'arrondissement, selon le modèle. A chaque fois, Elvetian, qui "ne touche jamais les objets, hein, moi je ne sais même pas s'ils sont volés ou pas", empoche une commission de 10 à 15%. De quoi s'assurer en moyenne 100 euros quotidiens, 300 euros les meilleures journées, assure le jeune homme qui se balance d'un pied sur l'autre.
"Quand j'étais mineur, j'ai volé"
Lui le jure, il ne vole pas. Enfin il ne vole plus, reconnaît-il finalement en hochant la tête, agitant sous son menton les deux pompons de son bonnet bleu blanc rouge. "Quand j'étais mineur, j'ai volé", reprend Elvetian qui piquait essentiellement "dans les magasins". Mais il faisait surtout partie d'un réseau de vol de cuivre. Tout a commencé alors qu'il rendait visite à un ami, dans un camp de Roms voisin de l'hôtel où il vit provisoirement avec sa famille.
"Un mec m'a dit 'T'es mineur ? Tu peux te faire beaucoup d'argent', se souvient-il. Elvetian se retrouve alors avec trois autres mineurs. "On montait dans la voiture vers 2 heures du matin, il nous montrait un chantier, on volait le cuivre, des dizaines de kilos chacun". Les câbles qui contiennent le métal orange brun sont chargés dans un utilitaire et embarqués jusqu'au camp où les gaines sont brulées. "Ces voleurs prennent des risques complètement fous et font des dégâts terribles", explique le colonel Patrice Bayard qui dirige l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI).
Pour contourner la loi française qui oblige les recycleurs à déclarer au fisc le nom du revendeur, le système est bien rodé : les voleurs apportent le cuivre pour une pesée puis ils se débrouillent pour donner le bon à une entreprise, souvent de leur pays d'origine, qui a une légitimité à revendre du métal pour qu'elle encaisse le chèque et le leur reverse. "On volait pour plusieurs milliers d'euros en une nuit", raconte Elvetian, pas loin de regretter la période de sa minorité.
"J'étais tout seul en Roumanie, je n'avais rien à faire"
Aujourd'hui, il dispose d'"un CV à la maison" qu'il donne "aux gens du bâtiment, un peu partout". Il ferait bien traducteur, mais n'a pas trouvé d'emploi. Régulièrement, Elvetian fait l'objet d'obligation de quitter le territoire français (OQTF). La première lui est signifiée deux ans après son arrivée, en 2009. Il est expulsé après quatre jours en centre de rétention. Et revient au bout de quatre mois : "J'étais tout seul là-bas, je n'avais rien à faire."
"Ma famille travaille ici. Ma mère est ménagère [femme de ménage], déclarée, tout ça. Mon père est dans le bâtiment, mon frère à l'école et ma sœur s'est mariée", énumère-t-il.
Après huit mois sans problème, il se fait arrêter "alors qu'il allait déposer [sa] copine quelque part avec la voiture de [son] cousin". Sans rien à se reprocher? "Bon, je n'ai pas le permis", admet Elvetian. Après 24 heures de garde à vue et 25 jours en centre de rétention, retour en Roumanie où il passe 2 mois.
A la 3e OQTF, Elvetian paye lui-même son billet, dont il conserve encore le talon tout abîmé dans son porte-feuille, "pour éviter le centre de rétention". A son retour, il y a cinq mois, il est contrôlé en sortant d'un chantier à Port Royal, en plein cœur de Paris où il travaillait au noir. "Je suis parti me faire oublier quelques jours en Belgique et aux Pays-Bas", raconte le jeune homme, de retour sur le parvis de la Gare du Nord.
* Le prénom a été modifié.
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