Cet article date de plus de trois ans.

Nouvelle-Calédonie : quatre questions pour comprendre les troubles qui agitent le "Caillou"

Les indépendantistes dénoncent le rachat de l'usine du Sud par un consortium calédonien et international. Des barrages ont été érigés sur diverses routes du pays. Les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer veulent attirer l'attention sur une situation quasi insurrectionnelle. 

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une voiture incendiée après des heurts à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 7 décembre 2020. (THEO ROUBY / HANS LUCAS / AFP)

"C'est la première fois depuis trente ans que l'on voit des barrages avec des mecs armés dessus", s'inquiète au téléphone, mercredi 9 décembre, Philippe Gomès, député de Nouvelle-Calédonie. Depuis plusieurs jours, la tension est montée d'un cran sur le "Caillou". Les indépendantistes et les autorités coutumières kanakes s'opposent à la cession de l'usine de nickel de Vale, située dans le sud de l'archipel, à un consortium local et international. Lundi, des heurts entre manifestants ont déjà fait plusieurs blessés lors de manifestations. Explications.

1Quelle est la situation sur place ?

De nombreux barrages sont actuellement en place sur diverses routes du pays, comme le détaille Nouvelle-Calédonie La 1ère. "Il y en a à peu près une vingtaine sur les routes du Sud", estime le député de Nouvelle-Calédonie Philippe Gomès. Conséquences de ces blocages, plusieurs commerces, stations d'essence et établissements scolaires sont actuellement fermés"On a franchi une nouvelle étape, désormais un certain nombre de barrages sont tenus par des gens qui sont armés, de fusils notamment", alerte Philippe Gomès, qui évoque aussi des tirs sur la commune du Mont-Dore. "Il y a une escalade depuis mardi soir." Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent effectivement des hommes armés de fusils et tirant ponctuellement en l'air.

"Tout cela peut conduire à un dérapage. Et quand ça dérape chez nous, cela peut donner lieu à des émeutes."

Philippe Gomès

à franceinfo

"Des bandes armées ont attaqué à plusieurs reprises les forces de l'ordre. Des affrontements successifs se sont déroulés tout au long de la nuit et nous déplorons des commerces brûlés, un parc saccagé et un blessé parmi nos sapeurs-pompiers", a également regretté le maire du Mont-Dore, Eddie Lecourieux, dans un communiqué.

Et l'escalade guette. Face à ces actions, Harold Martin, ancien maire de la ville de Païta et surtout ancien président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a appelé "les citoyens", dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, à "faire des barrages" et à s'organiser contre "les indépendantistes". "Il a réuni quasiment 1 000 personnes pour dire 'Puisque l'Etat ne joue pas son rôle, que l'ordre n'est plus assurée, on se constitue en milices citoyennes'", s'alarme Philippe Gomès. 

Dans ce contexte, le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (l'équivalent du préfet) vient de prendre un arrêté pour interdire le port et le transport des armes sur l’ensemble du territoire, y compris les armes blanches. "Mais le réveil est tardif", peste Philippe Gomès. Le député s'inquiète, car les opérations de maintien de l'ordre sont délicates sur l'archipel, notamment en raison de sa configuration géographique (l'île principale s'étend sur 400 kilomètres de long pour 50 kilomètres de large). "C'est très difficile, au pic des événements dans les années 1980, il y avait 27 escadrons et huit compagnies de CRS, c'est quasiment 3 000 hommes, se souvient le parlementaire. Aujourd'hui, il reste cinq escadrons pour maintenir l'ordre."

2Comment s'expliquent ces troubles ?

Pour comprendre les tensions actuelles, il faut se pencher sur le nickel, une ressource minière très présente sur le territoire calédonien. Ce minerai est utilisé dans des alliages notamment pour produire de l'acier inoxydable, que l'on retrouve dans de nombreux objets du quotidien. Il existe différentes usines sur l'archipel, dont une usine métallurgique de nickel et de cobalt, adossée au riche et stratégique gisement de Goro et gérée par le groupe brésilien Vale.

>> Référendum en Nouvelle-Calédonie : pourquoi le nickel est-il devenu l'un des enjeux de la campagne ?

Après avoir perdu plusieurs milliards de dollars, Vale avait annoncé il y a un an sa volonté de quitter la Nouvelle-Calédonie. Confrontée à d'importants aléas techniques, l'usine du Sud a été redimensionnée avant sa mise en vente et fabrique désormais un minerai destiné au marché des batteries des voitures électriques. Mais la reprise de ce site est devenue un dossier explosif, qui attise les tensions entre indépendantistes et non-indépendantistes. 

Différentes offres de rachat sont arrivées sur la table et le dossier est devenu un enjeu au cours de la campagne tendue sur le deuxième référendum pour l'indépendance. "Ce qui se passe au niveau des projets miniers se révèle profondément politique. Il y a la revendication du lien à la terre, les Kanaks veulent prendre le contrôle de leurs ressources, expliquait récemment à franceinfo l'économiste Séverine Blaise. De l'autre côté, certains loyalistes [qui souhaitent que la Nouvelle-Calédonie reste française] ont plutôt promu jusqu’à présent des projets tournés vers les multinationales étrangères."

3Où en est le projet de rachat de l'usine du Sud ?

Le groupe Vale a annoncé mercredi la vente de son usine de nickel en Nouvelle-Calédonie à un consortium calédonien et international nommé Prony Resources, incluant le négociant en matières premières Trafigura. L'industriel Vale-NC précise que "cette solution de reprise assurera la poursuite de l'exploitation et du développement de l'usine dans le respect de ses responsabilités sociétales et environnementales par une nouvelle société Prony Ressources, détenue à 50% par des investisseurs calédoniens""Le projet d'entreprise de Prony Ressources permettra de garantir plus de 3 000 emplois directs et indirects", selon Antonin Beurrier, actuel président de Vale Nouvelle-Calédonie.

Les indépendantistes, partisans d'un nationalisme minier, restent totalement opposés au montage avec Trafigura. Ils défendaient jusque-là une offre concurrente, non retenue par Vale, portée par la Société financière de la province nord (Sofinor) et reposant sur un partenariat entre des intérêts publics calédoniens (56%) et Korea Zinc. Mais lundi soir, le groupe coréen a annoncé qu'il se retirait. "On s'en doutait mais ça ne change rien. Trafigura ne mettra jamais les pieds ici et notre mobilisation se poursuit", a alors déclaré l'indépendantiste Raphaël Mapou. "Les indépendantistes ne lâcheront pas l'affaire, craint Philippe Gomès, que l'on peut qualifier de non-indépendatiste modéré. Ils préféreront une usine fermée et 3 000 emplois en moins, à une solution de reprise par un grand groupe international, qui représente pour eux l'exploitation du pays."

4Comment l'Etat réagit-il ?

Jean Castex a condamné "fermement", mardi, les violences de ces derniers jours. Le Premier ministre s'est exprimé à l'Assemblée, en réponse à une question posée par les députés de Nouvelle-Calédonie, Philippe Gomès et Philippe Dunoyer. Le chef du gouvernement a souligné que "la priorité absolue" de l'Etat était de "sauvegarder les 3 000 emplois" de l'usine du sud. Il a enfin assuré qu'il n'existe à ce jour "qu'une seule offre viable pour la reprise"

La réponse n'est pas à la hauteur des enjeux, selon Philippe Gomès. "Je n'en veux pas au Premier ministre, car il a une fiche préparée par un collaborateur sur un dossier qu'il ne connaît pas du tout, mais l'appareil d'Etat n'apporte que des réponses technocratiques, s'agace le député. Il y a une absence totale de compréhension des risques, avec un possible cataclysme économique, politique et social qui peut s'abattre sur nous si cette affaire de l'usine continue à prendre de l'ampleur."

Le parlementaire, qui siège dans le groupe de l'UDI à l'Assemblée, n'oublie pas non plus que le troisième référendum sur l'indépendance approche, après la poussée indépendantiste lors du précédent scrutin. "Il nous semble aujourd’hui plus que jamais indispensable que l'Etat pilote – au plus haut niveau – le projet de reprise de l'usine du sud", a ainsi écrit le député dans une lettre adressée à Emmanuel Macron cosignée avec des indépendantistes et des non-indépendantistes modérés.

"Je sais qu'il y a beaucoup de soucis en métropole, entre l'article 24, le Covid, la menace islamiste... Mais attention, on risque de devenir la priorité des priorités."

Philippe Gomès

à franceinfo

Le député demande à l'Etat de désormais trouver une solution de compromis entre les diverses parties. "Le consensus a été à l'origine de toutes les décisions sur le nickel, poursuit Philippe Gomès. L'Etat a l'autorité sur Vale et sur le repreneur, il a toutes les cartes en main pour construire un consensus entre nous. On a bien réussi après la grotte d'Ouvéa alors qu'il y avait encore du sang séché sur les parois [en 1988, un assaut pour mettre fin à une prise d'otages s'est terminé par la mort de 21 personnes] … on ne va pas y arriver, là ?" Pour tenter d'avancer en ce sens, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu doit réunir jeudi en visioconférence les principaux acteurs politiques calédoniens sur ce dossier. Mais les indépendantistes ont déjà indiqué qu'ils boycotteraient le rendez-vous.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.