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La fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie va-t-elle "ouvrir un boulevard" au FN ?

Des élus socialistes nordistes s'inquiètent d'un possible rapprochement de leur région avec leur voisine. Selon eux, un tel mariage favoriserait le Front national en vue des prochaines élections. Pas si simple.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La présidente du Front national, Marine Le Pen, vote pour le second tour des élections législatives à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 17 juin 2012. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Il le dit sans détour. Le Nord-Pas-de-Calais ne veut pas d'un mariage avec sa voisine picarde, d'abord promise à la Champagne-Ardenne. Martine Aubry, maire PS de Lille (Nord), voit rouge à l'idée d'une fusion de sa région avec la Picardie, actée mardi 15 juillet par les députés socialistes.

Pas question de soutenir "une aberration économique et sociale", comme elle le définit dans un communiqué signé par d'autres élus nordistes. Ses proches s'en défendent, mais à l'origine de cette hostilité se cache un autre argument, moins avouable et plus politique : un tel rapprochement menace d'"ouvrir un boulevard au Front national", selon les propos du député Bernard Roman, rapportés par Le Monde (article payant).

Le FN sera-t-il vraiment favorisé si une grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie est créée ? Elements de réponse.

Non, le FN n'a pas besoin de cela

"La fusion ne changera pas la donne", commente auprès de francetv info Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l'extrême droite. Depuis plusieurs années déjà, le Front national a fait du Nord-Pas-de-Calais sa vitrine. Symbole de cet essor dans la région, la conquête de la ville d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) aux dernières municipales. Plus discrètement, le parti s'est également très bien implanté en Picardie voisine, voire mieux que dans le Nord.

"Première région de France pour Marine Le Pen", s'enthousiasmait déjà le parti à la présidentielle de 2012, la Picardie était à nouveau la région la plus frontiste lors des dernières européennes. Le FN y est arrivé en tête avec 38,4% des voix, mieux que dans le Nord-Pas-de-Calais, où il affichait un score de 35,1%. Aux dernières régionales, en 2010, les résulats du parti étaient proches : 19,3% en Picardie au second tour, 22,2% dans le Nord-Pas-de-Calais.

"Si la Picardie restait seule, le FN pourrait l'emporter, estime Joël Gombin, membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste du FN, interrogé par francetv info. Dans le Nord-Pas-de-Calais, compte tenu de l'audience qu'a le Front dans la région, et l'état du PS local, pas sûr que l'isolement de la région soit de nature à empêcher une éventuelle victoire du FN." Le chercheur évoque d'ailleurs l'absence "d'homogénéité" des deux régions : "Le Nord-Pas-de-Calais est plus urbain, avec une tradition de gauche plus fortement affirmée qu'en Picardie, qui est dans l'ensemble très rurale." Les électorats ne sont donc pas tout à fait les mêmes. Fusionner les deux ne serait donc pas forcément de nature à favoriser le FN.

Oui, cela peut créer une dynamique

Certes, même isolés, Nord-Pas-de-Calais et Picardie abritent déjà un fort électorat frontiste. Mais associer les deux ne ferait qu'améliorer la dynamique du parti sur ce territoire, arguent les opposants à la fusion. "C'est un argument politique qu'il faut
entendre", reconnaît Claude Gewerc. Sollicité par francetv info, le président PS du Conseil régional de Picardie préfère pourtant cette solution à une union avec la Champagne-Ardenne, proposée par le président de la République. 

Son voisin Daniel Percheron, président PS du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, dénonce un "manque de lucidité" de ses collègues députés. "Les résultats des européennes montrent que cette éventuelle grande région serait âprement disputée par Marine Le Pen aux régionales l’an prochain, affirme-t-il à La Voix du Nord. J’espère qu’on ne reprochera pas au groupe socialiste d’avoir favorisé l’élection de Marine Le Pen dans une nouvelle grande région à un an de la présidentielle."

"Il ne dit pas toujours la vérité, mais là, je pense qu'il a raison", répond à francetv info dans un éclat de rire Michel Guiniot. "Profondément picard", le président du groupe FN au Conseil régional a beau dénoncer la fusion, il estime qu'"électoralement et politiquement", elle serait utile à son parti. "Imaginez Marine Le Pen tête de liste dans cette grande région, ça nous donnerait un coup de boost supplémentaire, argue-t-il. Si le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie restent seuls, ça sera un peu plus difficile pour nous."

Peut-être, mais la Champagne-Ardenne-Picardie, ce ne serait pas si différent

C'était la surprise de la carte de France version François Hollande : initialement, la réforme territoriale prévoyait d'unir, contre toute attente, la Picardie à une autre voisine, la région Champagne-Ardenne. Pas sûr qu'un tel mariage aurait changé la donne pour le Front national. "En Champagne-Ardenne aussi", le score du FN est relativement élevé, explique Joël Gombin.

Aux européennes de mai, la liste menée par le FN y est arrivée en tête, certes pas avec 38,4% des voix comme en Picardie, mais avec un score confortable de 31,3%. En compilant les données des dernières élections régionales, présidentielles et européennes, le résultat du FN n'est d'ailleurs pas si différent dans l'ensemble Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en Champagne-Ardenne-Picardie.

Joël Gombin évoque même la possibilité d'un vote sanction favorable au Front national si une telle fusion était actée. "Il y a fort à parier que le FN pourrait trouver là un argument pour les élections régionales, juge-t-il. Car en Picardie, la population semble très hostile à un éventuel rapprochement avec la Champagne-Ardenne."

Peut-être, mais changer la carte n'est pas une solution

Fusion ou pas, Jean-Yves Camus est catégorique : "Ce n'est pas en redessinant la carte des régions en fonction des scores du Front national qu'on diminuera son influence : c'est traiter le problème par le petit bout de la lorgnette." "A moins, ajoute-t-il, d'inventer des logiques territoriales compliquées", comme un rapprochement avec la Normandie, où le score du FN est plus faible.

"Est-ce qu'on organise la France pour les 40 années à venir à partir des résultats d'une future élection prévue dans 18 mois ?, s'interroge Claude Gewerc. Si c'est le cas, il va falloir redessiner souvent la carte. Ce n'est pas sérieux." Quoi qu'il en soit, Jean-Yves Camus invite à la prudence car les scrutins ne sont pas les mêmes : d'après lui, difficile de s'appuyer sur les bons scores du FN aux dernières européennes pour d'ores et déjà prédire un succès des frontistes aux prochaines régionales.

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