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Simone Veil : cinq ans après sa mort, son témoignage inédit sur la déportation dans "Seul l’espoir apaise la douleur"

En 2006, Simone Veil a accepté de dérouler le film de sa vie. Durant cinq heures et demie, elle a raconté son enfance, sa famille, l’Occupation, sa déportation. Un témoignage inédit dont franceinfo révèle deux extraits avant sa publication par l'INA, le 19 octobre.

Article rédigé par franceinfo - Alain Gastal, édité par Ariane Schwab
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Simone Veil dans un entretien inédit réalisé en 2006 par Catherine Bernstein et diffusé par l'INA, le 19 octobre 2022. (INA)

Simone Veil connaît une enfance heureuse, presque insouciante, dans une famille juive non pratiquante, à Nice. Ancien combattant de la guerre de 14-18, son père, l’architecte André Jacob, s'est longtemps cru à l’abri des persécutions. Simone Veil est arrêtée le 31 mars 1944, au lendemain de "son bachot". Elle a 16 ans. Dans le document exceptionnel que diffuse l’Institut national de l’audiovisuel (INAle 19 octobre, Seul l'espoir apaise la douleur, elle raconte longuement son arrestation, puis sa déportation.

Sa famille la suivra à Drancy puis dans les camps d’Auschwitz, avec sa mère et sa sœur. Elles échappent toutes trois à la chambre à gaz mais pas au travail forcé, aux coups, à la faim, au froid et aux humiliations. 

Simone Veil raconte "la faim, le froid" et "l'humiliation permanente, voulue, gratuite" - extrait de l'entretien "Seul l’espoir apaise la douleur" (INA)

"On a eu faim. On a eu soif. On a eu froid, horriblement froid. On avait sommeil. Le sommeil, ça me paraît être une chose terrible. Les derniers jours avant la libération de Bergen-Belsen, je travaillais à la cuisine, on ne dormait pas de la nuit. Je dormais en marchant." Elle pose aussi ses mots sur "l'humiliation permanente, voulue, gratuite". "Par exemple, au moment où on allait se mettre à manger, le SS donnait un coup de pied dans le bol dans lequel on était censé manger. Et on ne mangeait pas, on ramassait ce qui était par terre. Et tout le temps... C'était une humiliation permanente."

Le souvenir de sa mère, "digne, calme, donnant du courage à tout le monde"

Simone Veil décrit la "Marche de la mort" infligée aux prisonniers pour arriver au camp de Bergen-Belsen. "Les gens y sont morts de faim, de soif et surtout du typhus. La mortalité des dernières semaines a été effroyable", raconte-t-elle d’une voix presque clinique, dans ce document exceptionnel, face à la caméra de la réalisatrice et documentariste Catherine Bernstein. "Le typhus, et la faim. On l’a dit, et j’ai beaucoup de raisons de croire que c’est vrai, qu’il y a eu du cannibalisme à Bergen-Belsen."

Dans cet enfer, la mère de Simone Veil, Yvonne Jacob, née Steinmetz, incarne la dignité et l'espoir. "Très vite, elle a été en mauvais état physique. Elle était toujours très droite et elle avait toujours une dignité formidable qu’elle nous incitait à avoir, raconte Simone Veil. D’une part, être digne et d’autre part, avoir confiance en l’avenir. Je me souviens particulièrement du 18 janvier 1945 au matin. Ça faisait plusieurs jours qu’on entendait le canon et qu’on voyait même la lueur du front russe. Quand on nous a enfermés en disant : ‘Il n’y a pas de travail aujourd’hui, l’atelier est fermé’, on s’est dit : ‘Ils vont nous gazer’. Maman était là et elle avait un calme extraordinaire, d’une dignité formidable, donnant du courage à tout le monde."  La mère de Simone Veil mourra quelques jours plus tard du typhus. Son père et son frère ne sont pas rentrés non plus des camps. Seule Simone et ses deux sœurs ont survécu.

Simone Veil : "On n'a pas le droit d'oublier, on doit ça à ceux qui sont morts" - extrait de l'entretien "Seul l'espoir apaise la douleur" (INA)

Dans ce document, Simon Veil confie aussi l'après. La menace de l'oubli et de la "banalisation", à mesure que passent les années. Le souvenir de ces enfants morts en déportation, ces bébés dont l'image surgit quand elle voit ses propres petits enfants. "Cette banalisation m'inquiète beaucoup. Cette confusion, ça m'énerve. Je reste trop meurtrie. Ce n'est pas par rapport à ma famille, par rapport à ce que j'ai vu. Ce n'est pas une question de pardon parce que de toute façon, les Allemands qui sont là maintenant, ce n'est pas eux, ils n'y sont pour rien. Mais c'est le fait. Et le fait, c'est à nous de le rappeler. Sur mon lit de mort, je crois que c'est à ça que je penserai. Pas à mes parents, ni rien. Au fait lui-même. Aux bébés. Un million et demi d'enfants, comme ça. Quand je vois mes petits enfants, je pense à ça. Je ne leur dis jamais, naturellement. On n'a pas le droit d'oublier. On n'a pas le droit. On leur doit ça, ceux qui sont morts."

Cinq ans après sa mort, cet entretien fleuve sera également à retrouver dans un livre lui aussi intitulé Seul l’espoir apaise la douleur et édité par Flammarion, ainsi que dans un podcast en quatre épisodes, disponible notamment sur Radio France. Le document rejoint les grands entretiens déjà réunis par l'INA et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah dans une "collecte patrimoniale". Parallèlement, un film réalisé par Olivier Dahan, Simone,  sort mercredi 12 octobre dans les salles de cinéma. Elsa Zylberstein y incarne l'ancienne ministre.

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