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Pourquoi la Tunisie n'arrive pas à sortir de la crise

Douze jours après l'assassinat de Chokri Belaïd, le Premier ministre a annoncé l'échec du projet de gouvernement apolitique.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le président du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi (G), et le Premier ministre, Hamadi Jebali (D), le 15 février 2013 à Tunis (Tunisie). (GIANLUIGI GUERCIA / AFP)

Treize jours après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd le 6 février, la Tunisie est toujours plongée dans sa crise politique la plus importante depuis la révolution de 2011. Le Premier ministre, Hamadi Jebali, a annoncé lundi 18 février l'échec du projet de gouvernement apolitique et technocratique. Un projet mort-né face à l'opposition des deux principales formations politiques du pays, Ennahda et le Congrès pour la République (CPR).

Alors que le Premier ministre, qui n'a pas annoncé sa démission, a évoqué la possibilité d'"une autre forme de gouvernement", francetv info analyse les raisons de ce blocage.

La ligne des partis politiques est brouillée

L'onde de choc provoquée par la mort de Chokri Belaïd, le premier assassinat d'un leader de cet envergure, a chamboulé l'échiquier politique tunisien. "Nous ne sommes plus dans un jeu classique entre une majorité parlementaire et une opposition", observe pour francetv info Vincent Geisser, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient.

En effet, à l'intérieur des principaux partis comme Ennahda (islamiste), le Congrès pour la République (CPR, laïc, centre gauche) et Ettakatol (laïc, centre gauche), la division règne. "La discipline des partis est remise en cause", poursuit Vincent Geisser, en référence aux défections de députés qui se multiplient. 

Cette indiscipline s'explique par le tiraillement entre d'une part la crainte d'une guerre civile, et d'autre part, la tentation de profiter de la crise pour faire avancer ses idées et intérêts alors que le pays rédige sa Constitution."Il y a toujours cette contradiction entre le compromis et la réforme radicale", analyse pour francetv info Mohamed Kerrou, professeur de politique comparé à l'université de Tunis El Manar.

Pour Vincent Geisser, la classe politique tunisienne se divise désormais en trois catégories : ceux qui souhaitent continuer comme avant avec le même gouvernement, les pragmatiques qui estiment qu'un compromis est nécessaire pour sortir de la crise provoquée par cet assassinat, et enfin ceux qui jugent que ni l'Assemblée constituante, ni le gouvernement ne sont légitimes désormais.

Ennahda se déchire entre pragmatiques et radicaux

Ces lignes de fracture traversent les formations politiques, en particulier la première d'entre elles, Ennahda. Secrétaire général du parti et Premier ministre, Hamadi Jebali est la figure de proue des pragmatiques. Le jour même de l'assassinat de Chokri Belaïd, il a proposé la formation d'un nouveau gouvernement composé de technocrates, ralliant à sa cause une partie de l'opposition.

Une option rejetée par son parti, dominé par les radicaux du numéro 1, Rached Ghannouchi. Vainqueur des élections d'octobre 2011, le parti islamiste n'a pas l'intention de céder le pouvoir. Le mouvement a organisé deux rassemblements depuis le 6 février pour dénoncer l'initiative d'Hamadi Jebali. "Ennahda ne cédera jamais le pouvoir tant qu'il bénéficie de la confiance du peuple et de la légitimité des urnes", a clamé Rached Ghannouchi le 16 février à Tunis. Une intransigeance qui a fait échouer le projet de Hamadi Jebali.

Cette division au sein du parti au pouvoir explique en grande partie les blocages actuels. "Le Premier ministre est dans une position paradoxale. Il est appuyé par ceux qui ne lui étaient pas favorables mais il n'est pas soutenu par sa propre majorité politique", résume Vincent Geisser. Il est sur un fil."

La crise n'est pas seulement politique

Dans cette situation, le scénario de sortie de crise peine à se dessiner. "Personne ne pourra vous dire qu'il a une vue d'ensemble, il peut y avoir des coups de théâtre", explique Mohamed Kerrou. Le politologue esquisse tout de même deux scénarios possibles : un gouvernement mixte composé de technocrates et de politiques, ou la démission de Hamadi Jebali.

La situation est d'autant plus complexe que "la crise politique se greffe sur une crise économique et une crise morale de méfiance entre gouvernants et gouvernés", souligne le chercheur, qui rappelle que depuis les élections d'octobre 2011, "les choses ont beaucoup changé". "Hormis les membres du parti, tous les gens qui ont voté Ennahda sont déçus", résume-t-il. Mohamed Kerrou redoute que la violence ne s'installe. "Nous nous engageons à petit pas dans un processus de violences s'il n'y a pas de concessions", conclut-il. Une perspective qui pourrait forcer les dirigeants politiques tunisiens à négocier.

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