Pourquoi Villeneuve-sur-Lot est prête à pardonner à Jérôme Cahuzac
Malgré l'affaire de son compte suisse, l'ancien député-maire de la circonscription conserve de solides soutiens dans son fief, qui le poussent à se présenter à l'élection législative partielle. Francetv info est allé à leur rencontre.
Ce sont des lettres manuscrites, parfois anonymes, reçues à un rythme quotidien par le journal satirique indépendant de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), La Feuille. Toutes apportent leur soutien à l'ancien homme fort de la ville, le ministre déchu Jérôme Cahuzac. "Jérôme mon héros, martyr de la 'République bananière', toi l'homme 'riche', merci d'avoir ouvert la boite de Pandore", s'enflamme une missive. "Villeneuve-sur-Lot a perdu son âme… Ça sonne creux, nous sommes perdus", se désolent "deux lecteurs assidus" du journal, dans un autre courrier. Rien d'étonnant : la rédactrice en chef du journal, Anne Carpentier, a été l'une des premières à estimer qu'il fallait arrêter de tirer sur l'ambulance Cahuzac.
Si le Parti socialiste l'a rapidement expulsé de ses rangs, Villeneuve-sur-Lot n'arrive pas à tourner la page. Une partie de la population de la ville et de la circonscription garde un bon souvenir de l'ancien édile, député de 1997 à 2002 puis de 2007 à 2013, maire de 2001 à 2012. Conséquence : Jérôme Cahuzac est tenté de se présenter à sa propre succession, lors de la législative partielle des 16 et 23 juin prochains. Le dépôt des candidatures est fixé au vendredi 24 mai à 18 heures.
"Il n'a tué personne"
Certains n'hésitent pas à proclamer haut et fort qu'ils voteront pour lui s'il décide, comme il semble en avoir l'intention, de se présenter à la législative partielle des 16 et 23 juin, organisée après sa démission. Si Jérôme Cahuzac ne semble pas en mesure de l'emporter, il a les moyens de brouiller les cartes et de priver le candidat PS, Bernard Barral, de second tour, comme l'indiquent les résultats d'un sondage Ipsos qui le crédite de 11% des voix. "Cette élection sera tout sauf logique. S'il y va, il peut y avoir des voix qui arrivent de partout, même si ceux qui se feront le plus entendre seront les abstentionnistes", analyse un bon connaisseur de la politique locale, qui a préféré rester anonyme.
Le fait que leur ancien député ne porte plus l'étiquette socialiste n'est pas pour déplaire sur cette terre plutôt à droite. "Il est devenu un électron libre, pour les gens, c'est jouissif. Il devient l'un des leurs et les gens le voient comme Astérix, analyse Anne Carpentier. Le Parti socialiste, ce n'est même pas 300 militants sur 70 000 inscrits. Ils ne représentent que leur nombril."
Comment expliquer cet attachement, malgré "l'affaire" ? D'abord parce que la fraude fiscale et le compte en Suisse ne choquent pas plus que cela. "Sur le fond, il n'aurait pas dû, c'est un peu le pompier qui met le feu", estime Jean-Guy Gillet, ancien PDG dans l'évènementiel et président du club hippique de Villeneuve, qui connaît bien l'ancien ministre. Mais, "il n'a tué personne, cet argent lui a été donné pour un travail qu'il a effectué. Ce n'est pas suffisant pour remettre en cause notre amitié", minimise Bernard Lebrun, commerçant dans le centre-ville et lui aussi proche de Cahuzac. La banalité du délit, sur l'air du "qui n'a jamais essayé de payer moins d'impôts ?", et l'ancienneté des faits reviennent en boucle pour défendre Jérôme Cahuzac.
"On ne frappe pas un adversaire blessé"
Son mensonge est la seule chose qui ait vraiment déçu ses partisans. D'autant plus que l'ancien locataire de Bercy ne s'est pas contenté de mentir devant l'Assemblée nationale : il l'a fait devant ses administrés, lors d'une visite en janvier 2013.
Lorsqu'il repense au discours de Jérôme Cahuzac dans la salle des fêtes de son village de Saint-Vite, le maire Daniel Borie a "encore du mal à déglutir". Sa garde rapprochée balaye le reproche. "Le pardon existe en France, il est même dans le Petit Larousse", ironise Alain Soubiran, conseiller général et inconditionnel de l'ancien ministre.
La brutalité de la chute de Jérôme Cahuzac, expulsé du PS en quelques jours, n'a fait que renforcer le soutien dont il bénéficie à Villeneuve. "J'ai trouvé les attaques dégueulasses. On ne traîne pas un homme dans la boue", se rappelle Jean-Guy Gillet. Dans une autre lettre, publiée dans La Feuille, un Villeneuvois en appelle au bushido, ce code d'honneur des samourais japonais, "qui dit qu'on ne frappe pas un adversaire blessé et dans l'incapacité de se défendre". "Alors, de grâce, messieurs les faux-culs, dans cette affaire Jérôme Cahuzac, essayez d'avoir un peu l'esprit bushido", lance ce lecteur.
"Villeneuve doit tout à Jérôme Cahuzac"
En quinze ans, Jérôme Cahuzac a en outre su tisser un lien fort avec les habitants du territoire, même si certains ironisent sur son côte caméléon, la modestie calculée de ses costumes et de son pavillon par rapport à sa vie parisienne. "C'est quelqu'un de très abordable. J'étais étonné qu'un chirurgien tutoie un ouvrier", se rappelle Daniel Borie.
Jérôme Cahuzac, toujours conseiller municipal de Villeneuve-sur-Lot, n'a pas fait que serrer des mains dans la circonscription. Son bilan est unanimement loué. Début mai, avant que l'éventualité de la candidature Cahuzac ne lui fasse de l'ombre, Bernard Barral expliquait que les Villeneuvois "ont davantage l'image du maire efficace que du ministre fraudeur". "On ne peut voter que pour lui, Villeneuve doit tout à Jérôme Cahuzac, s'emporte Michel, un sympathisant socialiste à la retraite. Quand il est arrivé, il n'y avait rien à parti un pont".
Le redressement des comptes de la ville, le parc François Mitterrand, le complexe sportif, la voie verte, la maison des aînées, le nouveau pôle de santé de la circonscription... Adjoint en charge des finances sous Jérôme Cahuzac, Alain Soubiran égrène les réalisations du député-maire, réalisées "sans augmentation de l'endettement".
Jérôme Cahuzac a donc beaucoup bâti. Il a aussi aidé les industries du coin. C'est lui qui, par exemple, a obtenu en 2001 de la ministre de la Santé le plan amiante pour la fonderie Metaltemple Aquitaine de Fumel, l'autre ville importante de la circonscription. Ce plan a permis aux ouvriers exposés à l'amiante de partir plus tôt à la retraite. Ces départs en douceur ont également évité un plan social.
"C'est vraiment une mesure sociale et de santé publique", explique Daniel Borie, ancien ouvrier de l'usine, en rappelant que le cancer a fauché deux de ses anciens collègues avant leurs 60 ans l'an passé. "Localement, c'est un député qui a bossé", résume celui qui a cependant refusé d'être le suppléant de Jérôme Cahuzac.
Ses partisans jurent qu'il n'a pas perdu son entregent à Paris et qu'il peut toujours le mettre au service de sa circonscription. "On en a parlé récemment, confie Bernard Lebrun. Et beaucoup d'anciens ministres, de droite comme de gauche, lui ont envoyé des messages de soutien. Des choses superbes".
"C'était une sacrée bête"
Face à ses éventuels adversaires, Jérôme Cahuzac a pour lui un bilan. Il a également son charisme et ses talents d'orateur. Guillaume, militant socialiste et artisan maçon de 32 ans, ne votera pas pour lui, parce qu'il "ne peut pas concevoir de voter pour quelqu'un qui fraude". Mais, "c'était une sacrée bête", reconnaît-il. "Rien que sa petite phrase contre François Hollande était magique", savoure Jean-Marc, militant et demandeur d'emploi.
Ses concurrents, moins expérimentés politiquement, souffrent de la comparaison. "Les autres n'ont pas la même envergure que lui, ce n'est pas la même pointure", tacle Jean-Guy Gillet. Critique de Jérôme Cahuzac du temps de sa splendeur, Anne Carpentier lui reconnait une intelligence peu commune. "Lorsqu'il est arrivé, cela nous a changé du vieux fond radical-socialiste cassoulet auquel nous étions habitués, se souvient la journaliste. Là, nous sommes retombés les deux pieds dans le confit."
Voici l'intégralité des lettres de soutien à Jérôme Cahuzac évoquées au début de cet article:
Nous apprenons avec plaisir que M. Cahuzac a refait surface by ftvi
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