Procès des tournantes : les raisons de la clémence
Dix acquittements, quatre condamnations légères... Les critiques fusent après le verdict de la cour d'assises du Val-de-Marne. FTVi vous explique pourquoi.
JUSTICE - "Incohérences", "fiasco"... la défense et les parties civiles critiquent la justice à l'unisson, jeudi 11 octobre, après l'acquittement de dix personnes et les faibles condamnations pour viols de quatre accusés, dans le dossier des tournantes du Val-de-Marne. Les politiques, eux aussi, s'en mêlent... FTVi remonte le film du procès et vous explique pourquoi ce verdict fait tellement débat.
Une attente très forte
Le récit du calvaire et des sévices subis par ces deux jeunes filles, aujourd'hui âgées de 29 ans, avait choqué l'opinion publique en 2005, lorsqu'elles avaient porté plainte. Avec l'ouverture du procès, l'histoire douloureuse de Nina et Aurélie a remis sur le devant de la scène une forme de violence faite aux femmes soudainement médiatisée au début des années 2000 : celle des tournantes, ces viols collectifs commis le plus souvent dans des caves d'immeubles, comme nous le rappelions avant le procès.
Le témoignage des deux victimes a donc été largement diffusé. Europe 1 a notamment donné la parole à Nina, avec ce titre : "Pour eux, j'étais un bout de viande." L'autre plaignante, Aurélie, a quant à elle raconté son calvaire à France 2. Certains accusés risquaient jusqu'à vingt ans d'emprisonnement, comme le rappelait Le Monde. L'attente était donc importante, et le procès devait être exemplaire. Sauf que...
Des failles dans l'instruction
C'est un procès qui n'a pas "tourné rond", rapportait L'Express, le 10 octobre. Pire, selon un avocat cité par Libération, il serait "un désastre judiciaire". Ce constat est d'ailleurs partagé par les avocats de toutes les parties. D'abord parce que ce procès s'est déroulé treize ans après les faits et que les preuves matérielles sont inexistantes. Les jurés n'ont donc pu se baser que sur les témoignages contraires des uns et des autres.
Ensuite, des témoins ont été sujets à caution, comme le frère de Nina, une des plaignantes. Ce dernier a affirmé qu'il ne croyait pas à la culpabilité de ses anciennes connaissances de la cité. Cependant, pour la partie civile, ce "témoignage sous pression n'a aucune valeur".
Enfin, comme l'a noté Le Parisien (article payant), un policier a reconnu à la barre que "l'alibi de certains des agresseurs présumés n’avait même pas été vérifié".
La crédibilité des victimes mise en doute
Certes, les experts ont attesté de la crédibilité des victimes et du fait qu'elles ont bien subi des actes de violences sexuelles. Mais la défense a exploité le passé d'Aurélie, l'une des plaignantes, rapporte Libération, et notamment le fait qu'elle avait, à 15 ans, formulé de fausses accusations de viol. "J'ai fait des bêtises et j'assume, a répliqué Aurélie au quotidien. "Cela n'enlève rien au fait que j'ai été violée."
Les deux accusées ont ainsi été traitées de "menteuses". Nina, qui n'arrivait plus à se souvenir de ce qui s'était passé avec deux accusés, a fini par craquer. "J'en ai marre, je ne me rappelle plus, vous n'avez qu'à les (mes déclarations) retirer !"
Enfin, comme le notait Dominique Verdeilhan, spécialiste judiciaire sur France 2, lundi 8 octobre, "lors des réquisitions, les charges contre six des accusés ont été abandonnées, comme si on abandonnait les deux jeunes filles."
Un sentiment de gâchis
Pour Me Laure Heinich-Luijer, une des avocates des deux plaignantes, la déception se mêle à la colère :"Treize ans après les faits, l'échec est là. Quelle peine aurait un sens ? Quand on entend : coupable de viols en réunion, trois ans avec sursis. On s'interroge."
Les accusés risquaient jusqu'à vingt ans de prison. Au final, les peines sont particulièrement clémentes. Pour l'association Osez le féminisme, "ce verdict envoie un message catastrophique à l'ensemble de notre société. Aux victimes de viol : porter plainte ne sert à rien !"
Ce sentiment d'injustice est partiellement partagé par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, sur France Inter : "Evidemment cette affaire ne va pas encourager les victimes à se déclarer. Pour autant, c'est une affaire de justice, il y a une décision de justice et il ne m'appartient pas de la commenter." La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a également exprimé son "émotion" et son "malaise".
De son côté et face à la polémique qui entoure ce verdict, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a évoqué sur Europe 1 une possibilité d'appel du parquet et des parties civiles.
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