Que sait-on du commandant du "Costa Concordia" ?
Une juge italienne a constaté "de graves indices de culpabilité" à l'encontre de Francesco Schettino, assigné à résidence depuis mercredi. Elle lui reproche de ne pas avoir vraiment tenté de remonter à bord pendant l'évacuation des passagers.
Le Corriere della Sera le surnomme "l'homme le plus détesté d'Italie". Le commandant du Costa Concordia, Francesco Schettino, fait l'objet depuis samedi 14 janvier d'une enquête pour homicides multiples par imprudence, naufrage et abandon de navire, chefs d'inculpation pour lesquels il risque jusqu'à quinze ans de prison.
Au large de la petite île du Giglio, 24 personnes restent portées disparues après le naufrage du navire dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 janvier, qui a fait au moins 11 morts parmi les 4 200 passagers et membres d'équipage. Le commandant, lui, estime qu'on devrait le remercier d'avoir sauvé "des centaines, sinon des milliers" de vies.
• Quel est son parcours ?
Agé de 52 ans, Francesco Schettino est né à Castellammare di Stabia (Campanie), en face du Vésuve, dans une famille de marins. Formé dans une école d'officiers de marine, il débute au sein de la société Tirrenia Ferries. Après des passages sur des pétroliers d'Agip et des navires de MSC Croisières, il entre en 2002 chez Costa Croisières, où il devient second à bord du Serena, navire jumeau du Concordia.
"Plusieurs fois, j'ai dû le remettre à sa place", se souvient Terenzio Palombo, son commandant d'alors. Cité par Le Point, il évoque un fanfaron, un "crâneur". Bon marin, il a tendance à trop en faire. "Il se comportait comme un chauffeur qui conduirait un bus comme un pilote de Ferrari sur un circuit", a déclaré un enquêteur.
Francesco Schettino, promu commandant, s'est vu confier le Concordia à son lancement en 2006. Une vidéo publiée sur le site du quotidien Il Mattino rappelle aux superstitieux que la bouteille de champagne utilisée lors du baptême du navire n'avait pas explosé contre sa coque au premier lancer, un mauvais présage pour les marins.
Francesco Schettino "n’a jamais été impliqué dans un quelconque incident" auparavant et a réussi tous ses tests d’aptitude, a précisé Pier Luigi Foschi, le président de la compagnie basée à Gênes. Il avait suivi toutes les formations continues adéquates, tout comme les membres d'équipage.
• Qu'a-t-il fait juste avant le naufrage ?
Selon le Corriere della Sera, Francesco Schettino aurait modifié l'itinéraire prévu et se serait rapproché à 150 mètres des côtes pour faire plaisir au responsable des serveurs, Antonello Tievoli, originaire de l’île du Giglio. "Antonello, viens voir, nous sommes tout près de ton Giglio", lui aurait-il lancé juste avant l’impact avec le rocher. Le paquebot effectuait une sorte de parade surnommée l'inchino (la révérence), toutes lumières allumées et à grand renfort de sirènes pour saluer les 800 habitants du Giglio. "Attention, nous sommes extrêmement près de la côte", l’aurait alerté Antonello Tievoli, monté sur le pont supérieur pour apercevoir son île.
Pour effectuer cette manœuvre, le commandant a débranché le système de navigation automatique et toutes les alarmes qui l'auraient informé de la présence de rochers, avance Le Point. Il "s'est approché de manière très maladroite de l'île du Giglio, a heurté un rocher qui s'est encastré dans le flanc gauche, faisant s'incliner [le navire] et embarquer énormément d'eau en l'espace de deux, trois minutes", a pour sa part affirmé le procureur de Grosseto, Francesco Verusio, en charge de l'enquête. Le ministre de la Défense, l'amiral Giampaolo Di Paola, a déclaré : "C'est une grosse erreur humaine qui a eu des conséquences dramatiques."
Francesco Schettino a affirmé sur la chaîne de télévision TGcom24 "avoir heurté un éperon rocheux" qui ne figurait pas sur la carte. "Il y aurait dû avoir suffisamment d'eau en-dessous de nous", a-t-il insisté.
• A-t-il fui le navire ?
Après l'impact vers 21h45, le commandant aurait attendu 22h05 avant d'avertir les secours. Le procureur a affirmé que le commandant avait quitté le navire bien avant l'évacuation des derniers passagers. Il aurait été retrouvé sur le rivage vers 23h40, alors que les évacuations ont duré jusqu'à 6 heures du matin samedi.
L'enregistrement d'une de ses conversations radio avec la capitainerie du port de Livourne au moment de la catastrophe est ainsi accablant. D'un ton faible et hésitant, Francesco Schettino fait d'abord croire à son interlocuteur qu'il est à bord alors qu'il a déjà quitté le navire, puis refuse de remonter. "Remontez à bord, bordel de m... !" lui intime Gregorio De Falco, de la capitainerie, visiblement exaspéré et scandalisé.
"Ecoutez Schettino, vous vous êtes peut-être sauvé vous-même de la noyade, mais je vais vous faire beaucoup de tort. Vous allez me le payer. Bon sang, retournez à bord !", ordonne l'officier de la capitainerie. Parlant par radio à bord d'un canot de sauvetage, Schettino se défend : "Réalisez-vous qu'il fait nuit et que l'on n'y voit rien ?" Le garde-côte réplique alors vertement, en hurlant : "Alors qu'est-ce que vous voulez faire, Schettino ? Rentrer chez vous ? Il fait noir et vous voulez aller chez vous ? Allez à la proue du navire où se trouve l'échelle et dites-moi ce qu'il faut faire, combien de personnes il y a là, et de quoi elles ont besoin. Allez !" Les autorités n'ont pas confirmé l'origine de l'enregistrement, mais d'autres cris entendus en fond sonore ajoutent à la présomption d'authenticité.
• Que lui reproche-t-on ?
La juge qui a interrogé Francesco Schettino mardi 17 janvier au soir a constaté "de graves indices de culpabilité" à son encontre. Le commandant n'a fait "aucune tentative sérieuse" pour retourner "au moins à proximité du navire", après l'avoir quitté en pleine évacuation. Valeria Montesarchio note au passage qu'une fois descendu du bateau, il est resté pendant des heures sur les rochers avec l'équipage à regarder les opérations de sauvetage. Francesco Schettino a estimé qu'on devrait le remercier d'avoir sauvé "des centaines, sinon des milliers" de vies en ayant approché le Concordia près du rivage après avoir heurté le rocher, a déclaré son avocat, Bruno Leporatti.
Le capitaine a quitté la prison de Grosseto dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 janvier. Il est désormais assigné à résidence à son domicile près de Sorrente, au sud de Naples. La loi italienne lui interdit de sortir de chez lui et de communiquer avec qui que ce soit à part son avocat et ses proches du premier degré. La juge estime qu'il n'y a pas de risque de fuite, mais de "dissimulation de preuves".
Lors d'une conférence de presse où il est apparu très ému, Pier Luigi Foschi, le patron de Costa Croisières, a déploré lundi 16 janvier une erreur humaine "impondérable" du commandant, dont il s'est officiellement "dissocié". Selon lui, la trajectoire qu'a décidé de prendre Francesco Schettino était "une initiative de sa volonté, contraire aux règles écrites, certifiées" par la compagnie.
De premières actions en justice ont été lancées par des passagers, pour l'instant à l'encontre de la compagnie uniquement. Plus de 70 passagers du Concordia ont ainsi adhéré à une action collective contre Costa Croisières intentée par l'association italienne de défense des consommateurs Codacons. En France, l'avocat d'un couple français a annoncé le dépôt d'une plainte contre la compagnie pour non-assistance à personne en danger et mise en danger de la vie d'autrui. Ses clients, Patrice et Tatiana Vecchi, ont lancé un collectif de victimes qui devrait réunir une centaine de noms.
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