Qui était la cofondatrice du PKK assassinée à Paris ?
Sakine Cansiz faisait partie du petit groupe de militants qui a créé le groupe armé kurde en 1978. La prison, l'exil et probablement la torture ont émaillé sa vie.
Son nom de code était "Sara". Elle faisait partie des cadres fondateurs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) encore en vie. Sakine Cansiz a été retrouvée morte avec deux autres militantes dans un appartement parisien, jeudi 10 janvier. Chacune avait reçu une balle dans la nuque. Une première en France pour des Kurdes.
Cette femme de 55 ans aux cheveux teints au henné, tradition anatolienne, est née dans la province de Tunceli, dans le centre-est de la Turquie. Une région peuplée majoritairement de Kurdes et qui a été frappée au début du siècle par le génocide des Arméniens.
Une jeunesse en prison
Elle a 20 ans quand elle participe, en 1978, à la fondation du PKK, à Lice, non loin de sa région natale. Ils ne sont pas très nombreux, mais il y a aussi Abdullah Öcalan, le grand chef du PKK aujourd'hui emprisonné à l'isolement sur l'île d'Imrali, en mer de Marmara, depuis 1999.
En 1979, elle est arrêtée. Elle fréquente les geôles de Diyarbakir, principale ville du sud-est anatolien. La torture y est systématique pour les détenus politiques. Elle n'y échappe pas, selon des sources kurdes.
Lors de l'un de ses procès, en 1988, déjà condamnée à 24 ans de prison, elle parle en kurde et se voit condamnée à 76 ans d'emprisonnement, rapporte Sabri Cigerli dans son livre Les réfugiés kurdes d'Irak en Turquie.
La combattante
Entretemps, en 1984, l'organisation marxiste-léniniste prend les armes contre Ankara. Le conflit fait plus de 45 000 morts, la plupart dans le camp rebelle.
Sakine Cansiz sort de prison en 1991 auréolée de son passé de résistante dans un parti qui accorde une certaine importance aux femmes. Elle recommence à militer clandestinement. Elle combat activement au sein des rangs du PKK dans le sud-est de la Turquie. Elle passe aussi au camp d'entraînement dont dispose à l'époque le mouvement dans la plaine libanaise de la Bekaa.
"C'est une personnalité connue, une historique du mouvement kurde, elle a passé beaucoup d'années en prison, elle a combattu dans la montagne", rapporte Nicolas Bertrand, qui a réalisé le film Ez Kurdim (Je suis Kurde).
En exil…
En 1992 ou 93, selon les sources, Sakine Cansiz part en Allemagne. Une importante communauté de travailleurs turcs y vit. Elle organise les activités du PKK, toujours sur les instructions d'Abdullah Öcalan, alors en exil en Syrie.
Au fil des ans, la militante devient un cadre important du mouvement en Europe, à la faveur de sa proximité avec le principal commandant militaire du PKK, Murat Karayilan. Ce dernier s'est retranché avec quelque 2 000 rebelles dans les montagnes du nord de l'Irak. Il incarne la figure de proue du mouvement kurde depuis la capture et l'emprisonnement à vie d'Abdullah Öcalan. Sakin Cansiz vit depuis plusieurs années en France où elle obtient l'asile politique en 1998, selon le site du quotidien berlinois Der Tagesspiegel.
Visée par un mandat d'arrêt international émis par Ankara, Sakine Cansiz est arrêtée le 19 mars 2007 par la police allemande à Hambourg, puis relâchée le 25 avril.
…sous surveillance
Les deux autres militantes kurdes retrouvées mortes avec elle était moins connues. L'une d'elles, Fidan Dogan, 32 ans, était la représentante en France du Centre d'information du Kurdistan, une vitrine du PKK, et membre du Conseil national kurde, une autre organisation de la nébuleuse kurde. "Elle était arrivée en France enfant. C'était une femme incroyable, enthousiaste, joyeuse, pacifique", décrit Nicolas Bertrand qui l'a rencontré lorsqu'il tournait son film. "Elle consacrait son temps à faire connaître le problème kurde".
Selon Dorothée Schmid, la directrice du programme Turquie à l'Institut français des relations internationales, Sakine Cansiz et Fidan Dogan se trouvaient toutes les deux sous surveillance policière.
Leur mort intervient alors que la Turquie a repris depuis fin 2012 le dialogue avec le PKK, par le biais de négociations directes avec Abdullah Öcalan, dans le but de désarmer le mouvement kurde. "Elle travaillait sur les pourparlers de paix [avec les autorités turques] pour essayer de trouver des contacts qui soutiennent ces négociations", explique Songul Karabulut, présidente en exil du Congrès national du Kurdistan. Par ailleurs, "elle menait une campagne de signatures demandant la libération d'Abdullah Öcalan". "En résumé, elle menait des activités pour faciliter le processus de paix", affirme la militante.
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