: Vidéo Une communauté Emmaüs accusée d'avoir exploité des mineurs et des sans-abri
La communauté Emmaüs de Montauban est décidément dans la tourmente. Après les accusations de détournement de fonds visant son directeur, Christian Calmejane, pour lesquelles il a été innocenté, le parquet a ouvert une nouvelle enquête, cette fois pour "travail dissimulé commis à l'égard de personnes vulnérables". Cette semaine, les quatre sites d’Emmaüs Tarn-et-Garonne ont été perquisitionnés par 70 gendarmes et huit agents de l’URSSAF.
C'est une ancienne bénévole, aujourd'hui en conflit avec Emmaüs, qui a lancé l'alerte sur des pratiques qu'elle aurait observées. Elle témoigne dans cet extrait de "Complément d'enquête".
Des mineurs affectés à l'espace vert ou à la vente de fripes ?
Jusqu'en 2020, Zina était trésorière adjointe d'Emmaüs à Montauban. Sur les plannings (qu'elle a conservés), elle a constaté la présence de plusieurs mineurs, âgés de 14 à 16 ans selon elle. Non déclarés, ces adolescents étaient affectés à l'espace vert, à la vente de fripes ou à la crèche, et ce de manière régulière, affirme-t-elle. "On ne peut pas fonctionner sans, donc on continue comme ça", aurait opposé la direction à ses remarques.
Le témoignage de Zina semble corroboré par un compte rendu de conseil d'administration, où l'on peut lire ceci : "Vu le nombre de congés, il a été demandé aux adolescents d'être sur les activités : vente, tri, et la crèche." Cinq autres témoins ont affirmé à "Complément d'enquête" avoir vu à cette époque des jeunes travailler pour la communauté pendant les vacances scolaires, hors de tout cadre légal.
Des SDF employés illégalement pour 10 euros par jour ?
Ce n'est pas tout : selon la bénévole, la direction aurait également fait travailler des SDF. La communauté de Montauban en accueille un certain nombre dans le cadre du 115 – des places d'hébergement d'urgence financées par l'Etat. Sur place, les bénéficiaires n'ont pas le statut de compagnon, mais la direction les faisait tout de même travailler – sans les déclarer, selon Zina, pour "10 euros par jour (...) en liquide. C'est du travail illégal, clairement".
La situation a été évoquée en conseil d'administration. On en trouve la trace dans un compte rendu de 2020, qui s'inquiète de cas de "travail dissimulé pouvant s'apparenter à de l'esclavage, dans la mesure où ces personnes sont entièrement dépendantes de l'association".
Le directeur n'a pas souhaité commenter ces nouvelles accusations. Lorsque les journalistes se rendent sur place, Christian Calmejane est en congé maladie. L'adjoint qui les reçoit nie toute participation de mineurs aux activités solidaires.
"Complément d'enquête" a contacté un ancien cadre d'Emmaüs France, à qui Zina avait adressé un courrier d'alerte en août 2020. Selon cette source, le directeur Christian Calmejane aurait été protégé par la présidente d'Emmaüs France de l'époque, qui aurait recommandé d'ignorer ce courrier. Contactée, celle-ci nie avoir donné de telles consignes. Elle précise avoir lancé un audit à l'époque, et qualifie la lanceuse d'alerte de "bénévole aigrie" et "en colère".
Dans cet audit que les journalistes ont pu consulter, on peut lire que les adolescents peuvent être amenés à "découvrir l’activité d’Emmaüs" dans un "but pédagogique".
Interrogé, le délégué général d’Emmaüs France Tarek Daher rappelle : "La priorité pour les enfants dans les communautés, c’est la scolarité", et ajoute que "s’ils souhaitent donner un coup de main, ils doivent le faire dans un cadre totalement sécurisé, comme un adolescent irait faire un baby-sitting".
Extrait de "Emmaüs : rendez-nous l'abbé Pierre !", diffusé dans "Complément d'enquête" le 6 juin 2024.
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