Budget 2025 : la situation est "préoccupante", "très délicate", mais pas "catastrophique" selon deux économistes qui nous expliquent pourquoi

Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision à l'OFCE, et Natacha Valla, économiste à Sciences Po et présidente du Conseil national de la productivité, étaient les invités du "8h30 franceinfo", jeudi 17 octobre 2024.
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Le directeur du département Analyse et prévision à l'OFCE,
et l'économiste à Sciences Po et présidente du Conseil national de la productivité, étaient les invités du "8h30 franceinfo", jeudi 17 octobre 2024. (STEPHANIE BERLU / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Alors que l'examen du budget 2025 a débuté en commission à l'Assemblée, deux économistes apportent, mercredi 17 octobre, leur éclairage sur franceinfo, pour tenter de comprendre ce qui a conduit à ce dérapage des finances publiques. Avec une dette à 3 228 milliards d'euros et un déficit à 166,6 milliards d'euros, soit 6,1% du PIB, Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE juge la situation "préoccupante" mais pas "catastrophique". Natacha Valla, économiste à Sciences Po et présidente du Conseil national de la productivité, se dit "plus inquiète" et alerte sur une situation "très très délicate". Ils nous expliquent pourquoi.

La situation budgétaire du pays est "très grave", alerte Michel Barnier depuis son arrivée à Matignon. "La crise financière est devant nous", met en garde le Premier ministre le 4 octobre. La situation de la France est-elle catastrophique  ?

Éric Heyer : Non, catastrophique, il ne faut pas exagérer. C'est une situation préoccupante parce qu'on ne la maîtrise pas. On nous parlait d'un déficit à 4,4%. Et puis on apprend que c'est 5,1, puis 5,7 et maintenant 6,1 [% du PIB]. Donc c'est plutôt cette dérive-là et le fait qu'on ne comprenne pas vraiment pourquoi ça a complètement dérapé. Mais ce n'est pas une catastrophe. Quand l'Agence France Trésor essaye de placer la dette publique, ça se passe toujours très bien. Il y a toujours 2,7 fois plus de demandes que de propositions de dette. Les taux d'intérêt, certes, sont un peu élevés, mais en dessous des 3%. On a les mêmes taux d'intérêt qu'un pays qui se porte bien. Les petites phrases "on est en faillite", "on a cramé la caisse", ce sont des petites phrases politiques qui ne servent à rien, sauf peut-être à faire paniquer les marchés.

Natacha Valla : Les taux d'intérêt ont quand même augmenté, ce qui produit une charge de la dette qui se mesure à plusieurs dizaines de milliards. Tant que l'Agence France Trésor trouve des acheteurs de la dette, c'est bien. Mais je serais un peu plus inquiète au sens où la banque centrale n'est plus là pour faire ses achats, il faut que le marché absorbe cette demande. Si la situation devait se détériorer, il faudra être très vigilant : ne pas montrer une maîtrise des finances publiques françaises aujourd'hui, ça nous exposerait à des dégradations de notes et à des problèmes de finances publiques.

Mille milliards d'euros de dette en plus depuis sept ans. À quoi a servi la dette publique ?

Éric Heyer : La dette a fortement augmenté depuis 2019. Il y a eu deux épisodes : crise sanitaire et crise énergétique. On a fortement endetté le pays au moment de la crise sanitaire. Est-ce qu'il fallait le faire ? Moi, je pense que oui. Pourquoi ? Puisqu'on a sauvé le tissu productif. On a sauvé les entreprises, on a sauvé le pouvoir d'achat des ménages. Maintenant, au moment de la crise énergétique, est-ce qu'il fallait endetter le pays pour sauver le pouvoir d'achat des ménages ? Non. La dette n'était pas le bon instrument. Donc que l'on revienne sur la dette énergétique et qu'on dise maintenant, il faut payer une partie, oui. Et puisqu'on a fait des boucliers qui ont été, qui ont servi à tout le monde, il faut que tout le monde y participe. Et donc c'est normal qu'aujourd'hui qu'on augmente les impôts pour tout le monde et qu'on baisse la dépense publique pour les plus modestes en disant tout le monde a profité des boucliers, tout le monde doit participer parce que ce n'est pas ça qu'on doit léguer à nos enfants. Ce n'est pas de la dette publique issue d'un pouvoir d'achat qui a été maintenu au moment de la crise énergétique.

Natacha Valla : Je suis entièrement d'accord avec ça. La dépense énergétique a été un vrai problème. Le pouvoir d'achat en France a cru à un rythme positif. Ce n'est pas le sentiment des Français. Il y a un exercice de pédagogie à faire.

Le budget 2025 a été présenté, avec un objectif de 60,6 milliards d'euros à trouver (40 milliards d'euros de réduction des dépenses, 20 milliards d'euros d'augmentation des recettes via des contributions fiscales temporaires). Est-ce un budget d'austérité ou un budget juste ?

Éric Heyer : Appelons-le rigueur, austérité, ce que vous voulez. Le projet de loi de finances, en fait, propose un effort aux Français de 34 milliards. Quand vous demandez des efforts entre 1 et 2 points de PIB aux Français, oui, c'est un effort. Tous les Français vont être mis à contribution. Il y aura une conséquence sur la consommation et l'investissement. Dès que vous faites des mesures restrictives, forcément, ça aura des modifications. Il est complètement farfelu de penser qu'on peut faire 20, 30 milliards ou 40 milliards sans que ça ne fasse rien.

Natacha Valla : Ça va avoir un effet de frein sur la croissance, 2 points, c'est massif. C'est un signal fort. On a une forte contraction budgétaire planifiée. Si on a un assouplissement monétaire, par le biais de taux d'intérêt abaissés, ça peut avoir un bénéfice. Je ne crois pas que l'objet d'un budget comme celui-ci ce soit forcément d'être juste, mais il a un esprit de justice au sens où il y a une ventilation des interventions qui est très clairement identifiée pour l'impôt sur le revenu, sur les hauts salaires et pour les mesures de l'offre, c'est-à-dire du côté des entreprises.

Emmanuel Macron a-t-il raté son pari de la politique de l'offre ?

Éric Heyer : Le pari de ce gouvernement était 'je baisse la pression fiscale, ça va faire plus de croissance, et donc ça va s'autofinancer'. Est-ce que ça a marché ? Pour l'instant, non. Peut-être que ça va marcher, parce qu'une politique de l'offre, ça met du temps, mais aujourd'hui, ça n'a pas marché. Si vous baissez la pression fiscale, il faut baisser la dépense publique, ça a été l'erreur. Alors, si on dit que les baisses d'impôts n'ont pas marché complètement, le fait de les augmenter, ça ne va pas non plus être catastrophique. Les entreprises sont quand même encore gagnantes par rapport à 2017.

Natacha Valla : Le vrai arbitrage, c'est de se dire 'est-ce qu'on se laisse un petit peu de temps pour voir si la croissance revient', si la productivité augmente en résultante de ces baisses d'impôts, quitte à tolérer un déficit un peu plus grand dans le court terme ou alors est-ce qu'on dit 'on s'arrête, ça devient trop dangereux' et on essaie de rééquilibrer les choses. La malchance, c'est que le point de départ, c'était déjà 3 points de déficit. Le vrai juge de paix aujourd'hui, ce sont quand même les marchés, les investisseurs qui financent cette dette française. Je ne dis pas qu'il y a péril en la demeure pour demain, mais je dis que la situation est très très délicate et qu'on n'a pas du tout envie d'aller tester une crise obligataire. C'est-à-dire que du jour au lendemain, les emprunteurs ne puissent plus se financer sur les marchés. Pourquoi ? Parce que là, pour le coup, cela aurait un impact très très fort et très mauvais pour les Français.

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