Retraites, discriminations à l'emploi, rapport au travail... Ce qu'il faut retenir de l'interview de Julia de Funès
La philosophe, autrice, spécialiste du travail, était l'invitée du "8h30 franceinfo", lundi 30 janvier 2023.
Julia de Funès, philosophe, autrice, spécialiste du travail était l'invitée du 8h30 franceinfo", lundi 30 janvier 2023. Elle répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia.
Retraites des femmes : "C'est à l'État de corriger les moindres injustices"
"C'est à l'État de corriger les moindres injustices, il n'y a aucune raison que les femmes aient moins que les hommes" une fois à la retraite, déclare-t-elle. L'étude d'impact du gouvernement montre que le report de l'âge légal à 64 ans, mesure phare de la réforme des retraites, va conduire les mères de famille à travailler un peu plus longtemps que les hommes. "Le problème", selon elle, "c'est que les femmes sont de toute façon les grandes perdantes, quand bien même les chiffres [de la parité] seraient les mêmes entre hommes et femmes". Pour y remédier, il faut "travailler politiquement, socialement, économiquement sur une égalité de vie entre hommes et femmes, sur un partage des tâches domestiques, familiales, ménagères". C'est "un chantier à part entière", selon elle.
Discriminations : la systématisation des testings, "une première étape" vers "l'égalité absolue"
La systématisation des testings sur les discriminations à l'emploi, mesure phare d'un plan anti-discrimination présenté lundi 30 janvier par le gouvernement, est "une première marche, une première étape", selon la philosophe Julia de Funès. Toutefois, "ça ne me semble pas du tout résoudre le problème de l'intégration et de l'égalité absolue des personnes de couleur ou des personnes qui ont des particularités". La discrimination positive, "c'est ce qu'il faut faire pour amorcer la machine", reconnaît-elle. Cela dit, "on arrivera à une vraie reconnaissance quand on voudra cette personne-là parce que c'est celle-ci, et pas parce qu'elle remplit une case disant 'J'ai un handicapé, j'ai un noir, j'ai un homosexuel".
"Il faut décomplexer ce sujet de l'argent et évidemment mieux le répartir"
"On a l'impression, en écoutant ce type de discours, que c'est moins un désir d'égalité qu'un besoin de vengeance qui est à l'œuvre", réagit-elle aux propos tenus par Jean-Luc Mélenchon samedi 28 janvier. "Accumuler de l'argent est immoral. Qu'est-ce qui est accumulé ? Ce qu'on a pris aux autres", a déclaré le chef de file de La France insoumise (LFI). Pour Julia de Funès, "on est un pays très complexé" par l'argent. "Il y a tellement de jalousie, tellement de ressentiment, on est tellement pas dans une culture de la différence", appuie-t-elle. "On ne comprend pas qu'il y a des différences qui peuvent être justes", dans ce cas "ça s'appelle l'équité". Pour elle, "il faut décomplexer ce sujet de l'argent et évidemment mieux le répartir", car "on est tous pour un peu moins de pauvreté, beaucoup moins d'injustices, beaucoup moins de discriminations". "Ce n'est pas en stigmatisant les riches contre les pauvres qu'on arrive" à une "société idéale", affirme-telle.
Sens du travail : "C'est un besoin absolument essentiel de pouvoir dire : 'Voilà, je sers à ça"
"Aujourd'hui, on traverse une crise de sens frappante" au travail, liée selon elle à "une technicisation accrue des tâches". Elle cite les métiers comme "coordinateur de flux transverses" ou "analyste de spectre" dont "le sens est trop différé et on ne voit plus vraiment à quoi on correspond". Or, "c'est un besoin absolument essentiel à tous les âges de la vie de pouvoir dire : 'Voilà, je sers à ça". "Cette absence de sens, liée à une technicisation accrue" est à l'origine du "phénomène qui fait que tous les gens qui ont un beau boulot, des belles formations, des belles rémunérations qui quittent tout" le font "toujours pour la même chose : soit un métier manuel, soit un métier relationnel, c'est-à-dire où il y a de la matière concrète, et on voit immédiatement le résultat de ce qu'on est en train d'entreprendre".
Le travail n'est plus perçu comme "une finalité" mais "un moyen au service de la vie"
"C'était vrai avant la période Covid, mais elle a un peu accentué le phénomène : en gros, le travail n'est plus une finalité, il est perçu comme un moyen au service de la vie", explique Julia de Funès à propos de notre rapport au travail. "Pour ma génération et les précédentes, le travail était une valeur en tant que telle, c'était une finalité : on avait un beau boulot, on avait réussi sa vie sociale", rappelle-t-elle. Ce postulat est "beaucoup moins vrai aujourd'hui". Pour preuve, "vous rencontrez plein de jeunes et de moins jeunes qui disent 'Moi, je travaille pour m'épanouir dans l'existence : pour me payer un voyage, pour nourrir mes enfants, pour acheter une maison". Ces derniers "ont quand même raison, parce que considérer le travail comme une finalité en tant que telle, c'est un non-sens absolu", estime-t-elle. C'est même "lui ôter absolument tout sens".
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Retrouvez l'intégralité du "8h30 franceinfo" du lundi 30 janvier 2023 :
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