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"Naufrage" de Vincent Delecroix

"Naufrage" de Vincent Delecroix est un court roman, une libre interprétation d'une tragédie. Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021, une embarcation chargée de migrants faisait naufrage dans la Manche, 27 réfugiés sont morts noyés. L'enquête révèlera qu'ils avaient appelé à l'aide les secours français, à 18 reprises...
Article rédigé par Gilbert Chevalier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Embarcation de migrants dans des eaux agitées sur la Manche, entre Sangatte et Cap-Blanc-Nez, le 27 novembre 2020. Le roman "Naufrage" de Vincent Delecroix, qui vient de paraître, interprète une tragédie survenue un an plus tard sur la Manche, la mort de 27 migrants qui avaient pourtant appelé à l'aide. (SAMEER AL-DOUMY / AFP)

Avec Naufrage, publié aux éditions Gallimard, Vincent Delecroix interprète un drame aujourd'hui trop courant, survenu en novembre 2021, le naufrage d'un canot gonflable transportant des migrants, qui avait fait 27 morts près de Calais. L'enquête a révélé que de nombreux appels à l'aide des migrants étaient arrivés au Cross Gris-Nez, mais le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage n'avait pas déclenché l'envoi des secours.

Et Vincent Delecroix s'intéresse à celle qui est au centre de l'enquête, une opératrice de ce centre de recherche et de sauvetage. Pourquoi cette femme n'a-t-elle pas envoyé de secours en mer ? Des enregistrements, des échanges entre un naufragé et l'opératrice ont été retrouvés, et il y a notamment ces phrases cruelles où elle dit à son interlocuteur, de plus en plus paniqué : "De toute façon, tu ne seras pas sauvé". Ou encore : "Je ne vous ai pas demandé de partir en mer".

Et l'auteur nous emmène dans ce qui est d'abord un tête-à-tête entre cette opératrice du Cross et un gendarme, une gendarme de la préfecture maritime qui mène l'enquête. Vincent Delecroix imagine ce que pense cette opératrice mise en cause, une femme ordinaire, mère d'une petite fille, femme sans histoire, qui s'indigne intérieurement pendant cette audition. Pourquoi moi, maillon d'une chaîne qui fonctionne mal, aurais-je plus de responsabilités que d'autres dans ce désastre ?

Après tout, pourquoi elle, plus que la mer, que la guerre, que les crises qui provoquent ces tragédies, et à travers cette femme sans remords ? Vincent Delecroix nous implique. Cette femme, c'est un peu nous, dans notre lâcheté et notre capacité à regarder ailleurs, et à trouver des justifications.

Des pages bouleversantes

Et c'est là que le livre devient assez lumineux. L'auteur s'intéresse également, dans une deuxième partie, au naufrage en lui-même. Avec des pages bouleversantes. Il fait un contrepoint plutôt brutal. L'auteur décrit cette embarcation fragile, les boudins de ce bateau semi-rigide qui commencent à se dégonfler au milieu de la nuit et de la Manche, les naufragés qui commencent à écoper, les naufragés qui tombent à l'eau, les appels au secours d'abord paniqués, puis résignés, le froid glacial qui anesthésie les corps, le silence, la nuit, l'eau pour ceux qui ne résistent pas très longtemps. Et puis la mort, abandonnés au milieu de la Manche.

Des pages frappantes qui tranchent avec l'apparente distance de cette opératrice. Vincent Delecroix nous propose un roman qui ne peut évidemment pas laisser indifférent dans le contexte actuel. Roman subtil dans sa construction, Naufrage a été retenu dans la première sélection du Goncourt, qui sera remis cette année le mardi 7 novembre.

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