BD, bande dessinée. Gare au Karoo
Avec Karoo, Frédéric Bézian se livre à un exercice vertigineux : tailler dans le texte d'un roman qui raconte les affres d'un scénariste dont le travail consiste à tailler vainement dans le film des autres.
Karoo tient autant du polar que du roman de mœurs dans le monde du cinéma américain. Karoo, c’est à la fois le titre du livre de Steve Tesich et le nom de son protagoniste, un scénariste qui ne crée pas, mais qui est passé maître dans la réécriture du travail des autres.
Un mercenaire à la solde des producteurs-requins
On sait qu’à Hollywood, les producteurs possèdent par contrat le final cut, le droit de couper, de remonter, de malaxer les films qu’ils ont produits. Karoo est celui qui exécute ces basses oeuvres. Et par qui se pose la question morale de la création.
Tesich parle de "Qu’est-ce qu’être auteur ? Qu’est-ce qu’avoir de l’autorité ?" - c’est le même mot - au travers d’un personnage qui ne sait pas ce que c’est qu’être auteur et qui ne sait pas comment faire avec son fils. C’est quelqu’un qui s’aveugle devant la vérité et qui va s’imaginer pouvoir bidouiller la vie des gens de la même façon qu’il bidouille les films des autres. Évidemment, il va droit dans le mur.
Bézian
Adapter, c'est trahir ou créer ?
Si la vie, ce n’est pas du cinéma, la littérature, ce n’est pas de la bande dessinée. Le roman fait plus de 600 pages. Déjà copieuse, la BD n’en fait que le tiers. Pour adapter Karoo, il a donc fallu que Bézian, à son tour, comme le script doctor du roman de Tesich, triture le récit. Il taille dans le texte, supprime des personnages, efface les apartés, se passe de fioritures.
Ce n’est pas pour rien s’il y a sans arrêt des références à l’Odyssée, considérée comme le fondement de la narration en Occident. Tesich nous dit : depuis Homère, on n’a rien inventé. Pour moi, c’était un piège. J’ai essayé de faire un travail de création sur ce qui est déjà une adaptation. Trouver ma liberté dans cet exercice.
Bézian
Là où le lecteur verra dans le portrait de Karoo un homme cynique, Bézian devine un inhibé qui fuit la réalité. Dans l’Amérique fantasmée qu’il dessine, les personnages sont des ectoplasmes aux traits secs comme les visages de Giacometti. Les architectures et les intérieurs regardent du côté du Bauhaus et s’effacent dès qu’ils le peuvent. Traits, points, taches et trames composent des planches de plus en plus blanches, aériennes. La mort est au bout du chemin.
Karoo, de Bezian, d’après Steve Tesich, aux éditions Delcourt.
Colomiers, découvreur de talents
Du 15 au 17 novembre, rendez-vous en Occitanie, au Festival BD de Colomiers. Avec Bézian et son Karoo, mais aussi Antoine Maillard et Charles Burns, Nine Antico et Derf Backderf, ou encore Sarah Cheveau et Catherine Meurisse. Le Festival BD de Colomiers, le week-end prochain.
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