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C'est dans ma tête. "Liberté d’importuner"?

La psychanalyste Claude Halmos revient aujourd'hui sur la tribune publiée le 9 janvier dernier, (signée par 100 femmes) qui, en réaction au mouvement déclenché par l'affaire Weinstein, revendique la "liberté d'importuner".

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Tribune pour "la liberté d'importuner" publiée dans Le Monde le 9 janvier 2018. (LE MONDE)

La tribune (signée par 100 femmes et publiée le 9 janvier dernier) en réaction au mouvement déclenché par l’affaire Weinstein, revendique la "liberté d’importuner". Comment penser et comprendre cette revendication ? Les précisions de la psychanalyste Claude Halmos. 

Pensez-vous que les critiques contenues dans ce texte soient justifiées ?

Je crois que chaque fois qu’un combat est mené pour faire entendre une souffrance, il y a un risque de dérives, et il faut les combattre. Mais il y a toujours aussi des gens qui utilisent ces dérives pour remettre en cause le combat lui-même.  

Cette tribune remet-elle en cause le combat des femmes ?  

Elle introduit en tout cas des confusions dangereuses. Par exemple en confondant les situations de "drague", que l’on peut dire "normales", et les agressions verbales. Alors que cela n’a rien à voir.
Dans un cas – la "drague" – l’homme et la femme sont à égalité. D’une part parce que l’homme, qui propose, peut accepter le refus de la femme et le respecter. Et d’autre part parce que, dans ses propos mêmes, il respecte une limite. Alors que dans l’agression verbale, la jouissance de l’agresseur est, précisément, de figer la femme dans une position d’objet impuissant. Et de le faire par des propos dont la violence et l’obscénité constituent pour elle une véritable intrusion. Et puis, en ce qui concerne les agressions physiques, cette tribune témoigne d’une méconnaissance totale de ce que vivent les femmes agressées.  

De quelle façon cette tribune témoigne-t-elle d'une "méconnaisssance totale de ce que vivent les femmes agressées" ? 

Il y a d’abord, dans ce texte, l’idée qu’une femme pourrait se dissocier de son corps, et donc n’être que peu affectée par ce qui lui arrive. C’est impossible, pour les femmes comme pour les hommes. Il y a ensuite l’idée que les agressions sexuelles ne seraient pas si graves parce que l’on pourrait s’en remettre. Ce qui est vrai. Parce que l’on peut se remettre de tout, même d’un coup de fusil. Mais le problème est : à quel prix, et avec quelles conséquences ?

Et puis il y a enfin l’idée qu’il suffirait d’apprendre aux jeunes filles à se défendre. Or, il est essentiel de leur apprendre à se défendre. Mais il est essentiel aussi d’entendre la violence que représente pour elles l’image dénaturée du désir des hommes, que les agresseurs de la rue leur donnent.  

Cette tribune dénonce aussi une "victimisation" des femmes. Il ne s’agit pas de "victimisation". La "victimisation", c’est quand on se pose en victime.

Les femmes ne se posent pas en victimes, elles sont réellement victimes

Claude Halmos

Parce que, même si dans nos pays, elles ne sont pas privées de toute liberté ou violées pour gagner des guerres, elles subissent tous les jours des choses que les hommes ne subissent pas. Et il faut que cela change. Et que cela change avec les hommes et grâce aux hommes.

"L'éducation consiste à civiliser les pulsions"

La tribune affirme que "la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage". Elle oublie que l’éducation consiste précisément à civiliser, comme toutes les autres, cette pulsion. Et pour cela il faut que, non seulement les mères mais les pères apprennent à leurs fils que, chez les humains civilisés, les partenaires sexuels ne sont pas des proies. Et que l’on ne peut avoir de relations avec elles (et eux), que s’ils sont consentants.        

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