C'est dans ma tête. Quel accueil dans les commissariats pour les femmes agressées sexuellement ?
Les femmes agressées sexuellement ne sont pas toujours bien accueillies lors de leur dépot de plainte dans les commissariats. La psychanalyste Claude Halmos souligne combien cette démarche dérange l'ordre établi.
Les femmes arrivent de plus en plus à dénoncer les agressions sexuelles qu’elles ont subies mais il semble que beaucoup d’entre elles soient encore très mal reçues dans les commissariats. Comment expliquer l'accueil qu'elles reçoivent ? L'analyse de Claude Halmos.
Je crois que cet accueil s’explique par le fait qu’une femme qui a le courage d’aller porter plainte pour une agression sexuelle, fait une démarche qui met en cause, beaucoup plus qu’elle ne l’imagine, un ordre très solidement établi.
De quel "ordre établi" voulez-vous parler ?
De l’ordre au nom duquel une femme ne serait pas l’égale d’un homme. Elle ne l’est pas dans sa vie sociale : les femmes sont moins payées que les hommes. Elle ne l’est pas sur le plan de la capacité à penser dont on la crédite : on fait des plaisanteries sur "les blondes" mais jamais sur "les blonds". Pourtant il en existe…
Et elle ne l’est pas non plus sur le plan de la sexualité. L’idée de l’existence d’un désir féminin, différent de celui des hommes mais aussi important, est loin d’être admise. Et elle effraie beaucoup d’hommes, parce qu’elle les place face à un univers qui n’est pas réductible au fantasme qu’ils en ont.
En quoi une femme qui vient porter plainte mettrait-elle en cause cet ordre ?
Elle le met en cause à plusieurs niveaux. En venant porter plainte pour une agression sexuelle, une femme pose qu’elle est une citoyenne à part entière, et non une citoyenne de seconde zone qui devrait tout supporter sans rien dire. Elle pose qu’elle a un droit à la parole. Ce qui contredit le "sois belle et tais-toi" qui rassure beaucoup d’hommes.
Et elle pose surtout qu’elle a, en tant que femme, en matière de sexualité, un désir dont il faut tenir compte. Que là, en l’occurrence, elle n’avait pas de désir. Et que c’est, légalement, une faute de l’avoir forcée à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas. Le sens implicite de sa démarche est donc tellement important, qu’il peut mobiliser - au moins inconsciemment - chez les hommes auxquels elle s’adresse (les policiers) des réactions de défense.
Comment peut-on définir ces réactions de défense ?
Quand on écoute le récit des femmes qui ont été mal reçues, on a l’impression que tout s’est passé comme si les policiers s’étaient identifiés à leurs agresseurs. Et ce constat conduit souvent à parler de "solidarité masculine". Mais c’est peut-être plus complexe que cela. Parce que, on le sait, les personnes qui veulent dénoncer la maltraitance d’un enfant, se heurtent souvent au même type d’incrédulité. Comme si, dans les deux cas, le policier se disait : si j’admets que cet homme (ou ce parent) a pu violer ou maltraiter, qu’est-ce qui m’assure que moi - qui suis aussi un homme (ou un parent) - je ne pourrais pas faire la même chose ou, au moins, en être accusé ? C’est une idée très angoissante. Et elle peut le conduire, pour se protéger, à refuser de croire ce qui lui est dit, et même à mettre en cause la personne qui le dit.
Et quand le policier qui reçoit mal est … une policière ?
Je crois que cela montre la difficulté qu’il peut y avoir, pour une femme, à garder une identité de femme, dans un monde d’hommes où elle doit se faire accepter. Et c’est une question qui montre la nécessité que les professionnels soient formés.
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