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A Bastille : la marche des humiliés

La manifestation, à Paris, s’est déroulée dans le calme. Le cortège avait l’autorisation de faire une petite boucle, qui allait de la place de la Bastille à la place de la Bastille. Humiliant.
Article rédigé par Nathalie Bourrus
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
  (Le cortège de 20.000 personnes selon la police, 60.000 selon les syndicats, s'est ébranlé vers 14H15 de la Bastille, pour un parcours restreint de 1,6 km autour du bassin de l'Arsenal © Reuters)

Il n’y avait plus de place de la Bastille, mais une place-forte, cernée par des centaines de policiers en tenue, et en civil. Il n’y avait plus de cortège, mais une ballade sous le soleil, le long d’un port. Il n’y avait plus de manifestants, mais des gens sous anesthésie. "Ah ça, c’est sûr, on s’est bien fait avoir ! Le père Cazeneuve, il nous a bien bien eus !"  Cette dame attend, patiemment, que le cortège démarre. Écrasée par la chaleur, cette militante de la première heure, est déconfite : le cheveu en lambeau, elle s’évente, lentement, avec un tract du parti communiste. L’œil un rien hagard, elle regarde, cette belle place… celle de la révolution. "Vous avez l’air accablée. " "C’est le moins qu’on puisse dire… c’est-à-dire que cette place, précisément celle-ci, avec toutes ses entrées, sans exception, cadencées, par la police. Ben, ça me fait mal ."

Bateaux sur l'eau...

Moi : "Mais il fallait absolument, éviter la casse, non ? "

Elle : "Ah ben là, c’est sûr, de la casse, il ne risque pas d’y en avoir. Non mais regardez, ils fouillent les gens. Toutes les artères sont bloquées. Et y’a aucune vitrine à casser sur le trajet. "

Elle a de plus en plus chaud. "En fait, c’est pas une manif, c’est une humiliation. " Et voilà nos petits humiliés, en nage, démarrer leur petite marche. Nous longeons le port de l’arsenal. Une ballade du dimanche, tranquille, manque plus que le pastis. Tiens, des bateau, un trajet vraiment sympa. On marche quelques mètres, mais ça devait être déjà, beaucoup trop. Car nous voilà stoppés net. "Vous souffrez de la chaleur, me glisse un voisin, mais en fait, ils s’occupent de nous... "

Moi : "Qui ça ? " Lui : "Ben… le gouvernement... " Je ne vois pas.

Je suffoque

"Mais siiii madame ! On est stoppés… Le trajet a été concocté, pour nous aider : on a très chaud, donc on doit faire des petits haltes. Il pense à nous, Cazeneuve ! "

Pas mal, comme idée mal placée. "Vaut mieux en rire… , dit-il. Sinon, j’ai envie d’en pleurer de voir cette place barricadée… ces flics partout… c’est dur... »

Allez, on ré démarre. Bras d’sus, bras d’sous, la ballade des gens humiliés peut continuer. On traverse le pont. J’ai soudain, une furieuse envie d’aller faire quelques brassées. Je ne suis pas la seule. Une dame s’approche d’un CRS, une fleur rouge, à la main

Je la regarde, et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l‘impression que la grande main tendue, façon Bouddha, ça va pas marcher aujourd’hui. Fin de la manif, retour place de la bastille, case départ. La police a érigé des barricades en fer, très hautes. Je suffoque

Je cherche de l’air, je levé les yeux au ciel. Le génie de la Bastille est là, prêt à s’envoler. Emmène-moi, enlève-nous,  tous, là. Sauve-nous, on étouffe.

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