"Sois Belge et tais toi"

C’était pleurer oui, d’accord. Ok. Mais bon, comprendre, c’est mieux. "Vous êtes très triste, j’imagine… " Ça, c’est moi, m’adressant à une femme, belge, dans son restaurant à Paris, 18ème arrondissement

Elle, la cinquantaine, sortant de sa cuisine : "Triste ? C’est pas l’mot". Ambiance.  J’ai soudain le sentiment d’être, en trop.  Surtout que ce midi, la salle n’était pas pleine. 

Donc, chaque geste, chaque déplacement de chaise, chaque phrase prononcée...paraissait soudain, incongrues. "Et le mot, ce serait quoi ?" La femme belge : "Bon ben, pour Charlie, on était à terre… Puis, pour le 13 novembre, on a été décapités." Elle sourit…

Des Belges, et des mots

Les belges adorent les mots. Ces mots qu’ils balancent, comme ça, Cash… sans savoir, tout à fait, ou ça va les mener. Peu importe, pourvu que ça parte, et qu’on débatte.  C’est comme une seconde nature, un truc qui sort d’eux-mêmes. Belge, sors de ce corps !  "Bref, je suis gavée. dit-elle…gavée d’émotion.. Mais bon, y’en a un peu assez, de tout ça !"

Moi : "De tout ça ?"

Elle : "De ces termes employés, de dire que ce sont des barbares ! ca suffit plus ! Parce qu’on n’est pas rendus, vous savez… on n’est pas rendus"

Son accent est de plus en plus, peignant. J’adore. 

Moi : "Et donc, il faut faire quoi ?"

Elle : "Mais Comprendre !! Comprendre ce qui se passe ! Et pourquoi ça se passe !!  Il suffit plus de pleurer ! … d’ailleurs, vous savez ce que ça  veut dire Barbare ?"

Moi : "Hutu, j’ai dû le savoir"

Elle : "Bon ben moi, j’le sais"

La Belge, la femme Cash

"Les grecs anciens, quand quelqu’un parlait pas bien la langue, ils disaient BaBaBaBaba…et ça a donné Barbares… ce sont des gens pas lettrés les barbares ! alors que là, faut arreteeeeer ! Souvent ils sont éduqués les terroristes! Ce ne sont pas des imbéciles ! … faut essayer de comprendre ce qu’ils disent, derrière leurs actes !" Elle parle, elle parle… Et nous voilà, les 2 Nathalie (car cette femme belge, se prénomme Nathalie), partis dans une tchatche, qui va durer des heures… bataille de mots, trouvaille de verbes, recherche de débats, et de vérités… "Quand on sait que 60 familles, se partagent les richesses du monde, mais c’est fou ! Les gens ne peuvent plus accepter ça !" Dans ma tête, je ne vois pas bien, le rapport… enfin, pas forcément tout de suite. 

"Mais Si, si, renchérit Nathalie numéro 2 ! Y’a plein de trucs comme ça !"

J’attends la suite. "D’ailleurs en France, vous acceptez trop ! Oui oui, vous manifestez, tout ça… mais ensuite, vous acceptez Tout… vous avez un rapport a la hiérarchie incroyable…nous, en Belgique, on n’est pas comme ça…"

"Vous, en France..."

Amoureuse de la France, voilà notre Nathalie, rattrapée par sa belgitude.  "Ici, tout le monde veut être manager… ou consultant… (ce qui revient au même au passage)… mais ce n’est pas un métier de Diriger ! Chez nous, les hommes politiques, ils ne font pas l’ENA, ils ne commencent pas coller des affiches,  ils se mêlent aux autres… moi, j’ai été danseuse, j’ai dirigé une compagnie de théâtre, j’ai été serveuse, et maintenant j’ai un restaurant, et je suis en cuisine. Et je ne pleurniche pas sur mon sort! Ça sert à quoi de pleurnicher ?!" Notre Nathalie, la femme belge, ne s’arrête plus de parler.  Bataille de mots, trouvaille de verbes, recherche de débats et de vérités. 

Ah j’ai oublié de vous dire : son restaurant s’appelle "Sois Belge et Tais Toi"

Encore un joli pied de nez… bien belge.