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Chasseurs en baie de Somme : "Le Pen respecte mieux nos traditions"

Poser en tenue de chasse devant une hutte de la baie de Somme comme si l'on s'apprêtait à tirer le gibier d'eau est un rituel électoral pour les candidats en Picardie, tous partis confondus ou presque. En 2011, CPNT a pourtant reflué chez les électeurs chasseurs... et fait la place au Front national.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Au plus fort du succès,
Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT) faisait 27% en baie de Somme aux
législatives de 2002. Dix ans plus tard, le parti chasseurs a reflué. Au
Crotoy, les chasseurs n'investissent plus beaucoup d'espoir dans une
candidature cynégétique et rurale. En 2007, déjà, Frédéric Nihous (CPNT)
faisait 11% contre 24% pour Jean-Marie Le Pen. Dans cette ville de 2300
habitants sur la rive nord de la baie, chasser reste pourtant une
tradition vivace. Pas un hobby de notable mais un atavisme populaire :
la chasse au gibier d'eau est gratuite en baie, où l'on chasse la nuit
et coûte seulement 90 euros la saison dans le marais.
 
Parmi
les sociétaires du club de chasse, beaucoup d'ouvriers. Ils sont
nombreux à dire d'emblée leur appartenance à la classe populaire.
Puis, très  vite, leur désarroi. On a longtemps voté communiste sur ce
rivage picard. La figure politique du coin, c'est Maxime Gremetz. Mais
la gauche a fait long feu. Patrice, garde chasse bénévole et ouvrier au
camping du Crotoy, n'a jamais voté communiste à 46 ans. Pour lui, voter à
gauche est exclu depuis la gauche plurielle :

"Dominique
Voynet est celle qui nous aura fait le plus de mal."

"La gauche préfère les écologistes à nous"

Pour
lui, les socialistes qui ont fait alliance avec les écologistes sont
hors jeu depuis le gouvernement Jospin même si "c'est compliqué, du
coup, car on est quand même ouvrier mais ils sont plus intéressés à
travailler avec les écolos qu'à nous défendre, nous
". Vincent Peillon a
fait les frais de cette désaffection en échouant de 143 voix aux
législatives de 2007, battu par le candidat UMP soutenu par CPNT. 
 
Dès
les débuts de CPNT (lancé en 1989) Patrice, le garde chasse, a voté
pour cette alternative rurale très représentée localement : au Crotoy, maire et adjoints, ainsi que le président du domaine public maritime et les députés ont en
commun d'être chasseurs. Mais, comme tous ceux qui ont accepté
de parler politique malgré une  réputation taiseuse, Patrice est amer
envers CPNT. Parce que Frédéric Nihous, toujours candidat en 2012, les
aurait trahi, eux, les chasseurs en baie de Somme, qui ne chassent
pas comme on tire la palombe en Aquitaine (où il est élu). Parce que le mouvement
se serait disloqué en se professionnalisant aussi. Parce qu'il n'est
pas du cru, enfin.
 
Car tous les
chasseurs que j'ai pu rencontrer sur place ont en commun une même
répugnance à déléguer le pouvoir à l'étranger. A fortiori s'il est
Parisien, jacobin. Jacques, commerçant à la retraite, était l'armurier
au Crotoy. "Articles de chasse et pêche, bazar de plage "... et entre
soi, serait-on tenté d'ajouter quand on l'entend dénoncer la main-mise
des politiques sous le coup de la pression sur "les petites affaires du
Crotoy
" :

 "C'est la politique
qui nous dirige en France. J'ai des idées politiques mais enfin vous savez : est- ce qu'il y a encore de la gauche, du centre de la droite ? Il faut absolument nous laisser diriger nous mêmes nos petites affaires communales. Pas faire diriger ça par une instance départementale, régionale voire nationale. Car il faut reconnaître qu'avec Natura 2000, qui est nationale, on a mis la main sur quelques coins de France et on continue... jusqu'au jour où ils diront : les chasseurs, vous êtes un million, mais vous êtes quantité négligeable."

"CPNT s'est développé contre les élus parisiens"

Yann
Raison du Cleuziou, maître de conférence en science politique à
Bordeaux IV, a publié plusieurs travaux sur les chasseurs en baie de
Somme. Il confirme cette disqualification de la politique sur ces terres
:

"La rhétorique
d'opposition du local au national ou à la sphère européenne fonctionne
extrêmement bien. Le rejet du clivage droite-gauche est aussi le fruit
de la politisation de CPNT qui s'est développé en baie de Somme en
disant que la droite comme la gauche étaient dans des enjeux
exclusivement partisans et n'en ont rien à faire des populations
locales."

Jacques l'armurier ne vote pas à gauche. Il ne
tient pas à préciser de quelle droite il se ressent, mais il explique
qu'il a bien fallu "reprendre ses idées politiques " une fois passé
l'engouement pour CPNT. Qui l'a déçu à son tour. Pourtant, Jacques n'a
pas un discours si différent de celui de Jean-Louis, croisé à la fin
d'une des quatre-vingt matinées de chasse de la saison, un dimanche de novembre. Jean-Louis est pourtant de gauche. Il en est même à son deuxième mandat de
conseiller municipal dans l'opposition. Pourquoi de gauche ? Parce
qu'il sait "d'où [il] vient " - il était ouvrier chez Kronenbourg en
région parisienne, mais rentrait chasser tous les week-end en Picardie.

Défendre le maris, seul horizon politique

Outre cette extraction ouvrière, Jean-Louis manque d'enthousiasme
pour les candidats de gauche : 

"J'y
trouve de moins en moins mon compte. En réalité la politique ne
m'intéresse pas, ce qui me pousse à me présenter, c'est la défense de
notre marais. Oui, je suis inquiet."

Pression écologiste et
succès touristique sans précédent pour la baie : de l'avis de tous, le
marais serait menacé. Loué par le domaine public à la société de chasse,
il est moins vaste qu'auparavant : une usine conchylicole adoucie par
des bardages discrets et une réserve naturelle prisée par les touristes à
vélo grignotent son terrain.

Le sentiment de déclassement nourrit le FN

Cette concurrence se matérialise aussi
dans le logement avec les résidences secondaires,
rappelle l'universitaire Yann Raison du Cleuziou. Il y voit une des
raisons du vote Front national au Crotoy. Quand Patrice confie qu'à 46
ans, père d'un enfant en bas âge, il a du revendre sa maison parce qu'il
n'arrivait plus à payer ses traites, le chercheur souligne le sentiment
de déclassement des gens de la baie :

"Pourquoi la tradition ouvrière est-elle finie ? Parce qu'il y a eu une
grande désindustrialisation dans les années 90, puis parce qu'il y a eu ce
divorce avec la gauche au moment du gouvernement Jospin et du fait de
la présence de Dominique Voynet, celle qui a corrompu la gauche dans
l'esprit des ouvriers de la baie de Somme. Du coup l'identité de ces
ouvriers s'est recomposée autour d'une identité rurale mais d'une
identité menacée,  marginalisée. La population entretient un
ressentiment à l'égard des transformations de son ordinaire." 

"Les chasseurs sont mal vus"

À
seulement 19 ans, Gaétan est depuis peu vice-président de la société de
chasse du Crotoy. Apprenti couvreur comme son père, chasseur comme son
père, il tient beaucoup à son loisir, même s'il partage ses dimanche
entre chasse le matin et foot l'après-midi. Comme tous ceux qui
soulignent qu'aujourd'hui, les locataires de l'Elysée ou de Matignon ne
chassent plus et méconnaissent leur monde, Gaétan s'estime "mal vu" .
Stigmatisé.

Timide ou prudent, il met du temps à opiner quand je lui
demande s'il pourrait voter FN. Explique avec douceur que c'est parce
qu'il est inquiet. Pour "ses traditions " et pour "son avenir ".
Exactement les mots de Patrice, qui vote FN lui aussi même s'il n'est pas certain que Marine Le Pen défende mieux les chasseurs passées les promesses... mais qui incarne, au moins "nos petites traditions" . Gaétan et Patrice précisent qu'ils ne sont "pas racistes ".

Yann
Raison du Cleuziou, qui arpente la Baie pour ses travaux de sociologie
électorale depuis onze ans, voit dans le vote frontiste "un vote
d'homogénie
". C'est-à-dire que les chasseurs de la baie de Somme,
s'estimant stigmatisés, finissent par voter pour le parti le plus
stigmatisé. Le plus anti-système aussi, celui qui cogne :

"Ce
qui joue dans le lien avec le Front national, c'est un sentiment
d'homogénie. Le Front national est marginal dans la classe politique
comme ces gens-là s'estiment marginaux. Et en même temps, le FN apparaît
comme un fauteur de troubles, comme eux aussi aimeraient être des
fauteurs de troubles vis à vis des partis politiques. C'est cette
identité anti-système qui bénéficie au Front national en baie de Somme,
plus que la question de l'insécurité ou d'autres éléments du programme
du Front national."

 

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