Cinéma week-end. Ariane Ascaride : "Il fallait que je parle à quelqu'un qui ne soit pas témoin de cette crise, donc j'ai écrit à mon père"
L'actrice Ariane Ascaride publie aux éditions du Seuil "Bonjour Pa' ", recueil de lettres écrites à son père, disparu il y a de nombreuses années, un livre composé dans le temps arrêté du premier confinement.
Ariane Ascaride, qui a obtenu en 1998 le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Marius et Jeannette de Robert Guédiguian, avec qui elle a tourné 18 films, vient de publier cette semaine au Seuil, Bonjour Pa', lettres au fantôme de mon père. Une trentaine de lettres dans lesquelles elle relate ses souvenirs d'enfance à Marseille et partage ses réflexions sur la société actuelle mais aussi sur les plaisirs quotidiens.
Thierry Fiorile : Pourquoi cette adresse au père ?
Ariane Ascaride : J’avoue qu’au début du confinement j’étais terrifiée, il fallait que je parle à quelqu’un qui ne soit pas témoin de ça. Pas quelqu’un qui vivait la même chose que moi. Et donc, j’ai écrit à mon père. Il ne pouvait rien y faire, il pouvait juste qu'écouter, ce qui n’était pas certain de la part de tout le monde. Pendant ce confinement, je pense que les gens avaient du mal à s’écouter, c’est normal. Mon père était un adulte qui n’aimait pas la réalité, je pense qu’il avait en lui une part d’enfance qui était restée, et je crois que j’ai hérité de ça.
Et il pouvait entendre vos peurs et vos colères ?
Bien sûr, mais il les entendait plus ou moins bien (rires). J’avais des jours de détestation profonde qu’il pouvait entendre. Par exemple, ce que sont en train de vivre les jeunes, je ne sais pas si je dois dire que je les admire, mais ils sont, pour certains, sacrément costauds, et pour d’autres, je me fais énormément de soucis, parce qu’on perd pied, ce n’est pas une vie, on ne vit pas ça à 20 ans ! Ça me rend folle ! Ils en auront longtemps des stigmates. Et en plus, chaque fois qu’il y a un problème, on les pointe du doigt, comme si c’était de leur faute. Ils ne sont responsables de rien.
C’est plutôt la gestion durant des décennies de la santé publique qui est responsable de l’état dans lequel ils sont obligés de vivre. Là, ils n’ont pas d’angoisses existentielles, ils ont juste des angoisses pour savoir s’ils vont pouvoir payer leur loyer, s’ils vont pouvoir manger et c’est tout ! Ils ne peuvent faire aucune rencontre, ni aller à la fac, ils vont au lycée mais dès qu’ils en sortent, il faut rentrer à la maison parce qu’il y a un couvre-feu à 18h. Je ne dis pas qu’il faut rouvrir tous les bars et qu’on fasse n’importe quoi, pas du tout ! Juste nous payons la gabegie de décennies durant lesquelles on a géré la santé publique comme une grosse entreprise.
Quelles traces ça va laisser dans le cinéma, selon vous ?
Plus que des traces, des trous ! Pour l’instant, on peut continuer à tourner avec des normes de sécurité très strictes, mais on fait des films qui s’entassent chez les distributeurs. Certains distributeurs ont 17 films qui ne sont pas sortis. Certains exploitants ne savent pas s’ils vont pouvoir conserver leurs salles, je ne parle pas des grands groupes, mais des indépendants. Ils ont avec leur public un rapport de sympathie, de complicité, je me fais énormément de soucis, et comme toujours un tri se fera. Les plateformes aussi m’inquiètent, mais je crois que les gens ont besoin de se retrouver ensemble, ça j’y crois.
Et vous, vous avez recommencé à tourner ?
Oui, un premier film d’Ilan Kliper avec Camille Chamoux et Damien Bonnard qui s’appelle Le processus de paix. Il y a sur le tournage une certaine tension, tout le monde fait attention, se lave les mains au gel tout le temps, il y a une infirmière sur le plateau, on vous prend la température, dès que quelqu’un tousse on dit : ah bon ! Tout le monde est masqué, les acteurs ne le sont pas le temps du jeu. Mais on arrive à jouer quand même parce qu’on est des malades, on est des fous un peu quand même ! (rires).
Ce qui est finalement assez rassurant dans votre livre, c’est qu’on pense que les artistes ont une vie intérieure incroyable, mais en fait vous avez autant souffert que nous, durant le confinement ?
Bien sûr ! (rires) Mais vous savez la vie intérieure en jogging et en chaussons pendant 55 jours, elle en prend un coup ! Ce qui me tue, c’est que dès la fin du confinement, tout le monde a essayé de reprendre une vie normale. Plus ou moins. Et hop ! La nature nous a refilé une claque épouvantable, et elle n’arrête pas de nous donner la fessée.
Maintenant, il faudrait vraiment que tout le monde se dise qu’on ne peut pas vivre en dehors de la nature, en dehors du respect de la nature. On sait très bien que tout ça est dû à des comportements complètement démentiels du profit, et voilà pourquoi des tas de gens sont malades et d’autres meurent, malheureusement.
Ariane Ascaride
Bonjour Pa' d'Ariane Ascaride aux éditions du Seuil.
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