SLS : une fusée sans destination
Quelques mois après l'arrêt définitif du STS (Space Transportation System), la Nasa annonce l'arrivée du SLS (Space Launch System), nouveau fer de lance américain pour "assurer des emplois aux ingénieurs et techniciens américains" . C'est, en effet, par cette surprenante affirmation que Charles Bolden a commencé sa présentation de la nouvelle fusée made in America.
En 1961, lorsque John F. Kennedy avait lancé aux Soviétiques le défi inouï du programme Apollo, c'est l'objectif qu'il avait évidemment mis en avant, pas le vecteur : la Lune. Saturn 5 a été conçue et développée précisément, à partir de ce plan de charge : envoyer deux hommes sur la Lune.
Un demi siècle plus tard, après la longue agonie de la navette spatiale et l'abandon par l'administration Obama du retour sur la Lune via le programme Constellation, la Nasa, qui doit justifier auprès des contribuables américains les quelques dix huit milliards de dollars qu'elle dépense chaque année, a donc choisi de présenter son nouveau projet comme une source d'emploi. Au fond, c'est cohérent : la navette, poule aux oeufs d'or pendant des décennies de l'industrie spatiale une fois disparue, il fallait à tout prix la remplacer par quelque chose d'aussi coûteux, ou presque, comme l'avenir nous le dira très bientôt.
_ Mais pour aller où ? Patience... J'y reviendrais plus loin.
Mais d'abord, le SLS, c'est quoi ?
Techniquement, des morceaux de navette spatiale. Subliminalement, une Saturn 5, la fusée géante qui a emporté Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune...
La fusée – puisqu'après l'échec des "avions spatiaux" qu'étaient censés être les navettes a enterré pour longtemps le fantasme d'un accès facile à l'espace, on est revenu discrètement au concept de fusée – sera un assemblage d'éléments de la navette : réservoir, boosters et moteurs d'icelle pour le premier étage, par exemple. Le reste de l'engin bénéficiera des milliards de dollars dépensés pour le défunt programme Constellation.
C'est la capsule Orion, capable d'accueillir quatre astronautes, qui coiffera l'engin. Un engin qui, au moins sur les vidéos 3D mises en ligne par la Nasa est très, très impressionnant, et c'est là qu'intervient, subliminalement, l'iconographie de l'Age d'Or d'Apollo...
En effet, la "robe" noir et blanc de la fusée est la réplique exacte de celle de la Saturn 5 ! Il est vrai que le nouvel engin ressemble beaucoup à la fusée lunaire : dans sa version "super lourde", le SLS aurait à peu près la même taille, la même masse et les mêmes capacités que la Saturn 5...
On se doute qu'entre les vidéos du service de presse de la Nasa et la naissance de cet engin géant, la réalité risque fort de passer son rugueux rabot, mais enfin, les performances annoncées sont là : 70 tonnes de fret pour la toute première version, 130 tonnes pour la version futuriste...
Reste la question à 50 ou 60 milliards de dollars : à quoi va servir le SLS ?
Emporter des astronautes à bord de l'ISS, la station spatiale internationale ? Non. D'une part, cette dernière aura été abandonnée au moment où le SLS entrera en service, et de toute façon, cet engin géant n'est pas dimensionné pour cela : ce serait comme utiliser un car pour emmener quatre personnes à la boulangerie du quartier.
Lancer des satellites ? Pas plus, des satellites de 70 à 130 tonnes, çà n'existe pas.
_ Le SLS servira t-il alors de vecteur de lancement d'éléments d'une future station spatiale ? Non. Cet engin aurait été fort utile en effet, pour satelliser les éléments de l'ISS en quatre ou cinq tirs, quand il a fallu une noria d'une quarantaine de fusées Proton et de navettes pour l'achever, à un coût astronomique et dans l'indifférence de la communauté scientifique internationale. Mais l'ISS n'a plus la cote, elle vient même d'être "lâchée" par le responsable de l'agence spatiale Russe, Vladimir Povokine, au motif que les astronautes tournent en rond autour de la Terre depuis maintenant près d'un demi siècle et que les chercheurs ont fait le tour de la question.
Alors, vers quel objectif va se diriger le SLS et sa capsule Orion ?
Vers la Lune, comme sa prestigieuse devancière en 1968 ? Non. Même si Neil Armstrong, ces jours-ci, tente de rallumer la flamme lunaire, la décision de Barack Obama d'annuler le programme Constellation, semble sans appel. Il ne reste donc, dans l'espace infini, que deux destinations possibles pour la fusée géante américaine : la planète Mars et les astéroïdes.
Mars est promise aux astronautes pour les vingt ans à venir depuis... 1970. Le rêve de planète rouge est revenu régulièrement au devant de la scène, et tout aussi régulièrement, la réalité l'a repoussé sur sa lointaine orbite, mille fois plus distante que celle de la Lune... Mais si Mars a été visitée par une douzaine de robots spatiaux, elle est inaccessible aux astronautes, techniquement, physiologiquement, financièrement et sociologiquement.
_ Car ce que développe, pour les quinze ans qui viennent, la Nasa, c'est (si le programme n'est pas abandonné ou réduit par la prochaine administration américaine, ou la suivante...) une fusée géante et une capsule spatiale grande comme une salle de bain.
Aller sur Mars exigerait un module d'habitation spatiale de grande taille, un engin, comme le LEM lunaire, capable de se poser sur la planète rouge et d'en redécoller et un équipage capable de supporter les deux ans de voyage, soumis à l'apesanteur et aux radiations. En clair, un investissement scientifique, technique et financier dépassant de loin et à tous points de vue le montage d'une fusée Saturn 5 "high tec" et, last but not the least, il faudrait une volonté.
Quand John Kennedy a lancé le programme Apollo en 1961, ce n'est pas à la Lune, qu'il pensait, c'est à la revanche de l'Amérique et à l'humiliation des Soviétiques. En huit ans, en partant de rien, Apollo était sur la Lune. Aujourd'hui, la Nasa annonce qu'elle fera voler son SLS avec un équipage dans dix ans, ce qui signifie en réalité, si le programme est maintenu, dans une douzaine d'années, au mieux...
_ Alors, on invoque Mars par habitude, mais au fond, personne n'y croit plus. Comprenant, après quarante ans de désillusion qu'il n'existe au fond aucun "moteur" pour lancer un programme martien à 300 ou 400 milliards de dollars, les astronautes, et l'industrie spatiale, ont réduit leurs ambitions : maintenant, ce sont les astéroïdes, qu'ils visent...
Il est vrai que ceux-ci sont séduisants : un peu plus proches de nous que Mars, ils n'exigent que quelques mois de voyage. Dénués de champ de gravitation, ils permettent de supprimer des lignes de budget le "LEM" d'atterrissage. Le seul problème des astéroïdes, c'est que la présence de l'homme à leur surface pour les étudier est parfaitement inutile.
_ Comme la planète Mars, les astéroïdes sont régulièrement visités par des sondes qui se satellisent autour d'eux, voire se posent à leur surface. La sonde japonaise Hayabusa a même réussi l'exploit, au début de l'année, de ramener sur Terre plus de mille minuscules grains de poussière météoritique de la surface de l'astéroïde Itokawa.
La véritable raison de l'essoufflement actuel de la "conquête de l'espace" par les astronautes est là : extraordinairement coûteuse – le programme ISS + navettes + la noria de lanceurs russes qui l'ont approvisionnée a coûté, en tout, plus de deux cents milliards de dollars, soit le prix de... mille satellites scientifiques ! - elle n'a pas de réel objectif, autre que symbolique, consistant à transporter des astronautes là où la main de l'homme n'a jamais mis le pied.
_ Cette absence d'objectifs réels – quand des satellites nous envoient quotidiennement des images de l'astéroïde Vesta, des plaines désolées de la planète rouge ou des anneaux de Saturne – explique, au fond, pourquoi la Nasa a pu annoncer le lancement d'une fusée, en omettant d'indiquer à quoi elle pourrait bien servir.
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