Deux historiens, spécialistes de la Shoah, accusés de diffamation en Pologne
Deux historiens sont pointés du doigt après avoir évoqué la vie d'un Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale, et notamment ses dénonciations. Or, le gouvernement actuel souhaite que tous les Polonais apparaissent comme des victimes ou des héros.
En Pologne, deux historiens, spécialistes de la Shoah, sont accusés de diffamation, le jugement est attendu mardi 9 février. Ce procès fait réagir, dans le pays et à l’étranger : de nombreux chercheurs s’inquiètent des risques de censure pour la recherche scientifique sur la Shoah.
Jan Grabowski et Barbara Engelking sont accusés d’avoir mal fait leur travail, et d’avoir lancé de fausses accusations sur les actes d’un Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce maire de village, écrivent les chercheurs dans un long ouvrage minutieux, a certes sauvé la vie d’une femme juive, mais il aurait aussi – et c’est la raison du procès – dénoncé des dizaines d’autres personnes qui se cachaient. Une hypothèse rejetée par la nièce de ce maire, qui a porté plainte pour diffamation. Elle demande des excuses et près de 20 000 euros.
Mais derrière la plainte de cette femme âgée de 80 ans, se trouve surtout la Ligue polonaise anti-diffamation, qui finance ces poursuites judiciaires. Une organisation nationaliste, proche du gouvernement conservateur, qui reçoit d’ailleurs des fonds publics. Elle s’est donnée pour mission de défendre la réputation de la Pologne, en corrigeant toutes les informations qu’elle juge erronées, notamment sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Son président n’a pas hésité à s’exprimer sur l’affaire : selon lui, la thèse d’une complicité dans le génocide juif est une invention et le procès a pour but de protéger la mémoire de ce maire de village, "un héros, qui doit être rappelé comme tel par sa nièce, ses amis, et tous les Polonais".
Une volonté de réécrire le passé dénoncée par des associations
Cette démarche est notamment pointée du doigt par des associations, des chercheurs, comme Jan Grabowski, l’un des historiens mis en cause. "L'Holocauste n’est pas là pour rehausser le moral et l’ego des Polonais, c’est un drame qui a mené à la mort six millions de personnes, ce que les nationalistes semblent oublier", a affirmé l'historien.
Ce procès inquiète d’autant plus qu’il s’inscrit dans un contexte polonais particulier, avec un gouvernement conservateur, pour qui les Polonais sont avant tout des victimes et des héros. Un gouvernement accusé de vouloir réécrire l'Histoire : en 2018, une loi a été votée pour punir ceux qui attribueraient à la nation polonaise une responsabilité ou coresponsabilité dans des crimes commis contre les juifs. Cela avait fait beaucoup de bruit à l’époque, car la loi à l’origine prévoyait des peines allant jusqu’à trois ans de prison. Finalement les sanctions pénales ont été supprimées devant la pression internationale, mais pas les pénalités civiles.
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