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Arnaud Montebourg et l’immigration : la grande confusion

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Victorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Arnaud Montebourg lors de sa déclaration de candidature à la présidentielle 2022, le 4 septembre 2021 à Clamecy, dans la Nièvre.  (TARDIVON JC / MAXPPP)

Arnaud Montebourg, candidat à l'élection présidentielle, était dimanche 7 novembre l’invité du Grand Jury RTL LCI Le Figaro. Il y a fait une annonce fracassante pour lutter contre l’immigration illégale : interdire les transferts d’argent par Western Union vers les pays qui refusent d’accueillir leurs propres ressortissants. Une proposition qui relève, selon Clément Viktorovitch, d’une grande confusion.

Soyons précis. Arnaud Montebourg cible, ici, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), dont plusieurs dizaines de milliers échouent effectivement à aboutir chaque année. En cause, plusieurs phénomènes, mais il arrive bien que le pays d’origine refuse d’émettre le laisser-passer consulaire nécessaire pour que l’individu visé puisse passer la frontière. C’est, notamment, ce qui semble se passer avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Comment, alors, faire pression sur ces pays ? Emmanuel Macron a engagé un bras de fer, en diminuant le nombre de visas accordés par la France à leurs ressortissants. Mais Arnaud Montebourg, lui, a une proposition beaucoup plus drastique :  "Ce sont les pays d'origine qui refusent de reprendre les personnes qui relèvent de leur juridiction. Donc je suis décidé à taper au porte-feuille. Il y a 11 milliards de transfert d'argent qui passent par Western Union sur l'ensemble des pays d'origine. Eh bien, nous bloquons tous les transferts." 

Arnaud Montebourg n’est pas le premier candidat à soutenir une telle mesure. Il a été devancé par… Marine Le Pen et Eric Zemmour. Une filiation surprenante donc pour ce candidat qui se dit de gauche, et une proposition qui lui a valu une pluie de critiques venues justement de la gauche de l'échiquier politique. Jean-Luc Mélenchon par exemple souligne qu'elle revient à sanctionner des familles entières qui vivent dans ces pays, et dont la subsistance dépend de l’aide d’un proche qui travaille en France en toute légalité, voire même d’ailleurs qui est français, auquel cas ces familles n'ont strictement rien à voir avec l'immigration clandestine. Cela dit, en ce qui me concerne, c’est autre chose qui m’intéresse. Non pas la pertinence de cette mesure, mais plutôt sa cohérence. Revenons un peu en arrière. Le principal problème, d’après Arnaud Montebourg, c’est surtout l’intégration : "On ne sait pas intégrer, on ne sais plus intégrer, la machine à intégrer ne fonctionne plus. Donc je défends l'intégration ou rien."

Là encore, on pourrait débattre de cette question. L’intégration fonctionne-t-elle en France ou pas, est-elle un problème majeur ou pas ? On peut en discuter. Mais en l'occurence ce n’est pas le sujet, puisque, par hypothèse, la question de l’intégration se pose pour des personnes qui vont rester sur le territoire national, et non pas pour des individus visés par des OQTF, ceux-là même qu’Arnaud Montebourg désire justement expulser plus efficacement.

Comment fait-il alors le lien de l’un à l’autre ? Eh bien c’est simple, acrobatique, et  il le fait comme cela : "Pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à intégrer ? Parce que vous avez aujourd'hui 100 000 mesures d'obligation qu'on n'arrive pas à  exécuter, pesant sur des personnes qui sont irréguliers, clandestins, qui doivent quitter le territoire. Et qui sont là. Et qui d'ailleurs sont des délinquants."  Alors, "pourquoi on n’arrive pas à intégrer", se demande Arnaud Montebourg ? Parce qu’il y a des OQTF qui ne sont pas exécutées. Or, ces personnes ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble de l’immigration, légale et illégale. Arnaud Montebourg se retrouve donc à dire que sa proposition choc pour favoriser l’intégration des immigrés en France, c’est de couper les vivres aux familles restées au pays. Alors, on pense ce qu’on veut de la proposition elle-même. En revanche, le raisonnement qui amène Arnaud Montebourg à la soutenir me semble, lui, relever de l'équilibrisme.

Et puis, il y a aussi cette phrase prononcée brièvement par Arnaud Montebourg : "Ces clandestins que l’on n’arrive pas à renvoyer, et qui d’ailleurs sont souvent des délinquants." Cela vaut la peine qu’on s’y arrête. Certains peuvent effectivement avoir été condamnés, sortir de prison, voire, dans quelques cas, être considérés comme une menace pour l’ordre public. Mais les principaux motifs d’OQTF, ce sont le non renouvellement d’un titre de séjour, l’absence totale de titre de séjour, ou le refus du droit d’asile. Dans cet extrait, Arnaud Montebourg se contente donc, au fond, de tracer un lien direct entre immigration et délinquance, sans jamais s’embarrasser d’argumenter sa montée en généralité. Mais ce n’est pas fini ! Car, désireux de se montrer malgré tout ouvert, Arnaud Montebourg nous donne quelques exemples d’intégration réussies, selon lui : "Il s'agit d'individus. Vous en avez qui sont de voyous et d'autres qui sont des futurs extraordinaires Français. Voilà. Charles Aznavour, Zinedine Zidane, ce sont devenus des grands Français, mais avant ils ont été des immigrés."  Là, c’est le moment de rappeler la définition d’un immigré, selon l’INSEE : "Une personne étrangère née à l’étranger, et résidant en France." Charles Aznavour est né à Paris. Zinedine Zidane, à Marseille…

Bref, ici comme dans tout le reste de cette séquence, c’est la grande confusion. Arnaud Montebourg confond tout. Il jongle avec les concepts d’origine, d’immigration, d’intégration et de délinquance en faisant fi de toute rigueur et de toute cohérence. Bien sûr, on peut vouloir tenir une ligne ferme sur ces questions. Mais la moindre des choses, dans ce cas, c’est d’y avoir apporté un peu de soin, de travail et de réflexion.

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