CHRONIQUE. L’État, une "pompe à fric" qui dépense "un pognon de dingue" ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 10 mars : les propos du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, qui ne veut pas que l'État devienne une "pompe à fric".
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le ministre français de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, à l'Elysée à Paris, le 21 février 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Dans une interview donnée à nos confrères du Monde, le mercredi 6 mars, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a déclaré que l’État ne devait pas devenir une "pompe à fric". Un langage pour le moins familier mais qui, pour vous, ne doit rien au hasard. "Je crois à un État fort, mais pas à un État qui se disperse, qui finance tout et devient une pompe à fric" : voici, en effet, le langage fleuri utilisé par Bruno Le Maire pour justifier des 30 milliards d'euros d’économie annoncés d’ici 2025.

Parmi les chantiers qu’il annonce, et qu’il considère comme une "dérive des dépenses publiques", on trouve notamment le transport médical des patients, ou le coût des affections de longue durée. L’utilisation d’un tel lexique est assez claire en réalité. "Pompe à fric", c’est évidemment une métaphore pour donner l’idée de dépenses inconsidérées, qui ne cessent et ne cesseront d’augmenter.

Créer un effet d'évidence

D’un point de vue rhétorique, l’intérêt de ces formules familières, c’est qu’elles créent un effet d’évidence et une impression de bon sens. Comme les mots employés sont ceux du langage courant, on a le sentiment que la chose décrite relève du sens commun. Il n’y aurait pas besoin d’aller au-delà de ce qui nous semble aller de soi, pas besoin d’y réfléchir plus que cela.

C’est un procédé qui ne date pas d’hier : on retrouve, en réalité, le "parler vrai", conceptualisé à l’époque par Nicolas Sarkozy : "Vous en avez assez de cette bande de racailles ?", etc... Pour autant, cela n’a rien d’anecdotique : c’est une manière, pour un responsable politique, de tenter de bloquer la pensée de l’auditoire à son stade le moins critique, le moins vigilent.

L'exemple signifiant des affections longue durée

Ce que cherche à faire Bruno Le Maire,  dans ce contexte, me semble extrêmement signifiant. Prenez les affections longue durée, par exemple : elles coûtent cher, oui, et de plus en plus, c’est vrai. D’après le dernier rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, les affections longue durée représentaient 66% des dépenses remboursées par l’Assurance maladie en 2022. Dix ans plus tôt, c’était 61,6%, près de 5 points de moins.

Mais la question, c’est : pourquoi ? La réponse nous est donnée par une étude officielle de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), parue en janvier 2021. Et, surprise : ce n’est en fait qu’une conséquence directe du vieillissement de la population. Réduire le remboursement des affections longue durée reviendrait donc à alourdir le reste à charge d’une partie des patients, à commencer par les plus âgés.

Pour l’État, cela coûte toujours plus cher, oui. Mais contrairement à ce que dit Bruno Le Maire, ça n’est en aucun cas lié à une dérive, ou à une mauvaise gestion, mais seulement à un choix politique : celui de continuer à indemniser au mieux des pathologies très sévères. On parle tout de même, rappelons-le, de personnes atteintes de cancers, d’hépatite, du VIH, de la maladie de Parkinson, entre autres. Alors, on peut tout à fait décider de demander à ces patients de payer plus cher leur prise en charge. Mais encore faut-il assumer cette décision comme ce qu’elle est : une volonté politique.

Cela dit, Bruno Le Maire n’est pas le premier à employer ce type de vocabulaire. On se souvient d’Emmanuel Macron, qui fustigeait le "pognon de dingue".

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