Faut-il abandonner le terme "migrants" ?
Les mots sont importants. Ils ne font pas que décrire la réalité : ils dessinent également la carte de nos représentations. La manière que nous avons de penser le monde. Et aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter sur ce mot, qu’on a entendu toute la semaine : "migrants".
En apparence, rien de nouveau. Cela fait des années que ce terme s’est imposé au sein de l’actualité. Et pourtant, il ne va pas de soi. D’autres l’ont précédé. Dans les années 70, on a par exemple employé l’expression "boat people", d’abord pour évoquer les Vietnamiens et les Cambodgiens qui traversaient la Mer de Chine, puis plus généralement pour désigner toutes les personnes qui tentent de gagner un autre pays à bord d’une embarcation de fortune.
Ce terme est aujourd'hui tombé en désuétude. Mais en parallèle, un autre mot gagnait en popularité : les "clandestins". Un mot qui n’a rien de neutre : il focalise l’attention sur le fait que certaines personnes sont dans une situation irrégulière, en éclipsant du même coup les raisons qui ont pu les pousser à migrer. D’ailleurs, le terme "clandestin" est devenu aujourd’hui tellement connoté qu’il n’est plus guère utilisé que par les responsables politiques qui fustigent l’immigration. C’est un autre mot qui a pris sa place, "migrants", qui a l’avantage d’être beaucoup plus neutre : d’après l’Unesco, il désigne tout individu qui vit, de façon temporaire ou permanente, dans un pays où il n’est pas né.
"Rescapé", "réfugié", "demandeur d’asile" : autant de réalités différentes
Un rescapé, c’est quelqu’un qui est secouru pendant sa tentative de migration, généralement en mer. Les personnes à bord de l’Ocean Viking sont toutes des rescapées. Réfugié, c’est un terme très précis, puisque c’est un statut juridique : il est réservé aux personnes qui obtiennent l’asile en application de la Convention de Genève, au motif qu’ils sont persécutés dans leur pays d’origine. Les demandeurs d’asile, ce sont les personnes qui ont déposé une demande d’asile, et qui attendent de savoir si elle sera acceptée. Précisons d’ailleurs que demander l’asile, c’est un droit international : ceux qui le font ne sont pas dans l’illégalité, ils ne sont en rien des "clandestins".
L'état actuel du vocabulaire n'est donc pas erroné, mais il est discutable. Le problème du terme "migrants", c’est qu’à force d’être employé dans des discours de rejet de l’immigration, il a fini lui aussi par se charger de connotations négatives. C’est pourquoi il me semble que nous avons besoin, aujourd’hui, d’un autre terme, qui soit à la fois neutre et descriptif.
Quand on y réfléchit, un Français qui part travailler en Allemagne ou en Grande-Bretagne est un migrant, stricto sensu. Pourtant, on n’emploie jamais ce mot dans ce contexte. On dira plutôt de lui qu’il un "expatrié", pour insister sur le caractère choisi et volontaire de la migration. De la même manière, les personnes qui fuient leur pays d’origine, pour échapper à la guerre, l’oppression, la famine ou la misère devraient pouvoir être désignés par un mot qui souligne le caractère subit et dramatique de ces migrations.
Il s’avère que ce mot existe dans la langue française. De mon point de vue, ces personnes ne sont pas seulement des migrants. Ce sont des exilés.
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