Faut-il souhaiter la fin des réseaux sociaux ?
Le réseau social est au centre des débats, depuis son rachat par Elon Musk. Après le rétablissement du compte de Donald Trump, c’est l’ensemble des comptes suspendus que le milliardaire a souhaité réactiver. C’est l’occasion de s'interroger sur les réseaux sociaux, en se demandant s’il ne faudrait pas souhaiter leur disparition.
C’est un débat qui n’a rien d’anecdotique. Les réseaux sociaux en général, et Twitter en particulier, sont devenus un espace public mondial. Une partie de l’information, du débat politique, et même de la diplomatie se passe aujourd’hui sur Twitter. À l’heure où certains prédisent sa mort, il me semble que c’est le bon moment pour se poser la question, plus générale, de l’impact des réseaux sociaux sur nos démocraties.
En commençant par ce qui est le plus souvent souligné, et à juste titre : leurs effets pervers. Il y a, bien sûr, la haine et le harcèlement qui y ont libre cours, et face auxquelles la modération s’est pour l’instant révélée démunie. Mais au-delà, les réseaux sociaux nous confrontent à deux difficultés majeures. D’abord, l’existence de bulles de filtre. Nous autres, êtres humains, avons naturellement tendance à suivre des contenus qui nous confortent dans ce que nous pensions – c’est ce qu’on appelle l’exposition sélective. Les algorithmes des plateformes ne font que renforcer cette inclination, si bien qu’on finit, sur les réseaux, par être entourés d’avis qui sont les mêmes que les nôtres. Le risque, si on ne s’informe que sur Twitter ou Facebook, c’est de ne plus jamais être exposé à des contre-arguments. De ne plus jamais avoir à penser contre soi-même.
La seconde difficulté, c’est bien sûr la diffusion de fausses informations. Une étude du MIT, publiée dans la revue Science en mars 2018, a montré que les informations erronées se propageaient six fois plus vite et plus profondément que les informations vérifiées. Cela s’explique largement pour des raisons émotionnelles : les informations fausses ont tendance à être plus surprenantes, choquantes, exaspérantes que la réalité, ce qui nous incite à les partager avant même d’y avoir réfléchi.
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Certes il y a désormais de très bons fact-checking – par exemple le Vrai du Faux, de franceinfo ! Le seul problème, c’est qu’avec les bulles de filtre, ceux qui ont été exposés à une fausse information ne voient souvent même pas passer la vérification. Confondre la rumeur et l’information, ne plus jamais être exposé à une réfutation : ces deux tendances menacent les principes mêmes du débat démocratique.
La solution n'est pas forcément la disparition de Twitter
Les réseaux sociaux ont aussi été – et, pour le coup, je trouve qu’on ne le souligne pas assez – à l’origine d’un approfondissement de nos démocraties. D’abord, en élargissant l’accès à la parole. La démocratie suppose, en théorie, que tous les citoyens puissent prendre part au débat public. Mais jusqu’à très récemment, en pratique, seules les personnes qui avaient accès aux médias traditionnels pouvaient faire entendre leur voix. Les réseaux sociaux ont pulvérisé cette barrière. Prenez la crise des "gilets jaunes". Quoi qu’on en pense, elle a ouvert un débat qui a animé la France pendant des mois. Et pourtant, elle a commencé par une pétition et une vidéo, postées sur les réseaux par de simples citoyens.
Par ailleurs, le bon fonctionnement de nos démocraties suppose que l’action des élus soit scrutée par les citoyens – c’est ce que Pierre Rosanvallon appelle "le pouvoir de surveillance" du peuple. Jusqu’à présent, là aussi ce pouvoir de surveillance était exercé, concrètement, par les journalistes. Désormais, tout le monde peut y participer. Une bonne partie des propos qui valent à leurs auteurs d’être critiqués, voire disqualifiés, sont aujourd’hui filmés ou repérés directement par des citoyens. Les réseaux ont donc produit une indéniable démocratisation du débat public : ce n’est pas rien.
Il faut préserver les réseaux sociaux
À tout prix : ils ont contribué à redistribuer un peu le pouvoir au sein de la population. Mais il ne faut pas les préserver n’importe comment. Je ne crois pas qu’on puisse se réjouir que quelques milliardaires y prennent toutes les décisions, alors même que ces espaces sont désormais un bien commun – fut-ce en s’abritant, comme Elon Musk, derrière des sondages. On ne peut pas non plus se satisfaire du laisser-faire, qui ne conduit qu’à accentuer les effets pervers dont nous parlions.
Les réseaux sociaux ont besoin de régulation, de modération, de décisions. Peut-être serait-ce l’occasion de confier tout cela directement aux utilisateurs. Autorisons-nous à rêver, rien qu’une seconde : une conférence citoyenne internationale pour décider des règles régissant les réseaux sociaux… Voilà qui serait, à n’en point douter, une belle expérience de participation démocratique !
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