Grève des enseignants : ce que disent les mots choisis par le gouvernement pour désamorcer la crise
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
"C’est vrai, tout n’a pas été parfait" : voilà la mélodie entamée en cœur par le gouvernement depuis le début de la semaine à l’égard de la situation dans les écoles ! Entre des mesures annoncées à la dernière minute et un protocole modifié trois fois en une semaine, il aurait de toute façon été présomptueux d’affirmer le contraire. Mais le plus intéressant, c’est la petite musique que l’on entend au second plan de la communication gouvernementale. Ces notes sourdes que l’on ne voit pas forcément passer, mais qui ne manquent pas de nous influencer. Et leur tonalité est bien différente !
Un discours équivoque
Le président de la République, pour commencer, était en conférence de presse à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne. "Je pense qu'il faut qu'on s'arme tous de patience, de bienveillance et j'ai bon espoir que nous puissions cheminer avec le plus de bienveillance possible, déclare Emmanuel Macron à cette occasion. Nos enfants et nos adolescents sont la chose la plus importante et donc on doit continuer de veiller sur eux avec le plus de bon sens et de précaution possibles."
Alors, commençons par rappeler cette règle essentielle en rhétorique : ce que l’on a besoin d’énoncer, c’est ce qui n’allait pas de soi. On a vu déjà comment ce principe pouvait se retourner contre un orateur : si vous avez besoin de dire "je suis quelqu’un de très honnête", c’est justement que l’on peut avoir des doutes à ce sujet.
Mais cette règle peut également être utilisée pour attaquer un interlocuteur. En l’occurrence, pourquoi Emmanuel Macron aurait-il besoin d’affirmer "il faut s’armer de patience et de bienveillance"... sinon pour laisser entendre, en creux, que les enseignants en manqueraient. Ce sont eux, finalement, qui seraient impatients et de mauvaise volonté ! Quand il dit que nous devons "veiller sur les enfants avec bon sens et précaution", le message est le même : les grévistes feraient preuve de dogmatisme et d’imprudence.
Et le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ne tient pas un autre discours au micro de BFMTV : "On essaye, à chaque fois, de calculer les avantages et les inconvénients, de faire avec le plus de lucidité et sang-froid possible. On est dans une logique d'adaptation et de pragmatisme permanent. Moi, je suis à la recherchce d'unité, de fraternité, de paix sociale, d'une volonté d'unité de la Nation autour de son école". Jean-Michel Blanquer se met là du côté du "pragmatisme, de la fraternité, et de l’unité de la Nation". Pourquoi ressentir le besoin d’affirmer cela, sinon pour disqualifier des enseignants grévistes qui, eux, participeraient du conflit et de la division ?
Le gouvernement place le débat sur un plan moral
Et si vous trouvez cette explication un peu tirée par les cheveux, le ministre de l'Éducation nationale explicite sa pensée un peu plus tard dans son intervention : "Il y a des gens qui de toute façon depuis le début de la crise - on pourrait refaire l'historique - ont toujours été contre ce qui est pour et pour ce qui est contre. C'est vrai que ce serait mieux d'avoir un petit peu d'unité nationale autour de ces enjeux. Ce serait un petit peu dommage de se diviser dans cette dernière ligne droite. C'est pas une grève qui résout les problèmes, on ne fait pas une grève contre un virus."
Jean-Michel Blanquer n'hésite donc pas, lui, à dire tout haut le fond de sa pensée. Il parle explicitement de division. Et il a même cette phrase terrible : "on ne fait pas grève contre un virus". Une manière de dire que les enseignants ne seraient pas seulement des idéologues : ils auraient véritablement perdu tout sens commun.
Alors, que la grève soit justifiée ou non, c’est une question politique : chacun se fera son opinion. Ce qui est frappant en revanche, c’est que le gouvernement positionne le débat sur le plan de la morale : critiquer sa gestion de la crise à l’école, ce serait faire preuve de malveillance alors qu’il faudrait avoir de la bienveillance. Mais à mon sens, ce n’est pas du tout cela qui est en jeu ici : les citoyens n’ont pas à être gentils ni méchants avec leur gouvernement !
En revanche, ils sont en droit d’être exigeants dans la gestion de la crise sanitaire. Peut-être cette exigence méritait-elle mieux qu’une vaste entreprise de disqualification masquée derrière des discours doucereux.
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