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Jordan Bardella, l'art de l'image

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, était l'invité de franceinfo, le 6 septembre 2021.  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Jordan Bardella, le nouveau président du Rassemblement national était l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, mercredi 20 octobre. Une interview marquante par le nombre d’images qui ont été mobilisées : c’est bien simple, presque toutes les techniques rhétoriques différentes y sont passées ! Alors, voyons ensemble ce qu’elles permettent d’accomplir, en commençant par la plus simple d’entre elles : la description. Jordan Bardella évoquait par exemple la nécessité de prendre en compte la pénibilité dans le régime de retraites. "Il y a beaucoup de nos concitoyens qui font des métiers difficiles, qui n'ont pas notre chance M.Bourdin, d’être dans des bureaux chauffés l’hiver et climatisés l’été."

Ici, Jordan Bardella se contente de décrire une réalité, celle des françaises et des français qui ont la chance de travailler dans des situations confortables. Oui mais, il le fait avec une formule particulièrement bien choisie : "des bureaux chauffés l’hiver et climatisés l’été", c’est un petit détail, mais qui suffit pour que nous visualisions toute la scène. En rhétorique c’est ce que l’on appelle une diatypose : la description courte et ramassée, qui parvient à donner l’idée d’une situation en seulement quelques mots. Pour Jordan Bardella, c’est diablement efficace : cela lui permet de s’épargner un long développement sur l’inégalité des conditions de travail. Nous voyons tous, avec précision, ce dont il est en train de parler.  

L'image permet de condenser une idée

Et ça ne se limite pas aux descriptions : les métaphores aussi sont concernées. "Moi je veux bien qu'on aille instaurer un pass sanitaire à l'entrée des restaurants, souligne Jordan Bardella, où on nous explique que le vaccin n'empêche pas la transmission du virus, mais il faut commencer par contrôler nos frontières parce que les variants, ils ne poussent pas dans les prairies normandes."

Les variants du Covid métaphorisés en végétaux, et les prairies normandes qui sont la métaphore (ou, si on voulait être très précis, la synecdoque) de toute la France : c’est beau. Là aussi, l’image naît instantanément dans notre esprit, et elle s’impose d’elle-même. Pourtant, si on dépliait la métaphore, on se rendrait compte qu’elle porte un argument discutable. Certains objecteraient que : si, un variant pourrait émerger en France, et que c’est précisément pour cela que nous conservons des mesures sanitaires strictes, alors, quelle position est la plus juste : je ne rentre pas dans ce débat. Mais précisément, c’est tout l’intérêt de la métaphore : elle masque l’argument qu’elle porte, elle le voile derrière une image évocatrice, si bien qu’il nous paraît évident, quand bien même il serait discutable.

L'image permet aussi de masquer une attaque

Si la métaphore permet de voiler un argument, elle peut également être utilisée pour camoufler une attaque. Et Jordan Bardella nous en a d’ailleurs donné un parfait exemple, au moment d’évoquer Éric Zemmour. Pendant toute l’interview, il a veillé à conserver un ton modéré à l’égard du probable concurrent de Marine Le Pen.

"Éric Zemmour dit : 'j'annoncerai éventuellement ma candidature à l'élection présidentielle lorsque ce sera mon intérêt'. Bon nous on n'est pas là-dedans si vous voulez, insiste le président du Rassemblement national, Éric, il nourrit les Français de constats que nous pouvons partager. Mais il aurait toute sa place dans un gouvernement d'union nationale que Marine Le Pen souhaite mettre en œuvre. On peut avoir des points d'accord mais on a aussi des points de désaccord." Ce positionnement s’explique par des raisons stratégiques : il ne faut s’aliéner ni Éric Zemmour, ni ses soutiens, que Marine Le Pen ne désespère pas de rallier avant le premier tour. Mais cela ne suffit pas : il fallait aussi, décocher, dans le même temps, des flèches contre ce dangereux concurrent. Cela va se passer au niveau métaphorique.

"On a affaire à un pays, qui craque de partout, martèle Jordan Bardella, où une partition du territoire s'opère. Où nous avons tous les quatre matins des attaques terroristes ou des émeutes en banlieues. Alors il faut être extrêmement prudent. Avoir un programme de fermeté sans jouer avec une boîte d'allumettes à côté de la station Total." Cette dernière phrase est évidemment une charge très lourde contre Éric Zemmour, dont les propos sont accusés ici de fracturer le pays, voire de pousser à la guerre civile. Mais, comme tout cela est masqué derrière une métaphore, l’attaque est à la fois moins brutale, et plus délicate à réfuter. C’est aussi la force des métaphores : elles permettent de camoufler l’agressivité, qui n’en devient pas moins efficace, mais plus pernicieuse.

Bref : prenons garde aux métaphores, particulièrement celles qui semblent s’imposer à notre esprit avec naturel et délassement. Ayons l’habitude de voir au-delà, pour déterminer quels arguments s’y cachent : ce sont toujours eux qui doivent nous convaincre, et non les belles images qui les incarnent.

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