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Marine Le Pen : la fragilité comme force ?

Après les députés européens Gilbert Collard et Jérôme Rivière, c’est la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, qui annonce à demi-mots son soutien à Éric Zemmour. 

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, à Fréjus (Var) le 20 janvier 2022 (PHILIPPE ARNASSAN / MAXPPP)

Cette série de ralliements confrontent la candidate du Rassemblement national à un dilemme rhétorique : comment obtenir le soutien des électeurs, quand on ne parvient pas à conserver celui de ses amis ? C’est le dilemme auquel est confronté tout responsable politique trahi par une partie des siens. On se souvient par exemple que cela avait considérablement pesé sur la campagne de Benoît Hamon en 2017, quand une partie du PS avait décidé de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron plutôt que la sienne.

Mais ici, l’affaire est encore plus embarrassante, puisqu’elle concerne Marion Maréchal, une figure influente au sein de la galaxie du Rassemblement national, et une membre de la famille Le Pen. Invitée sur CNews vendredi 28 janvier, Marine Le Pen a accusé le coup : "Si je vous disais que cela ne me touche pas, personne ne me croirait. J'ai avec Marion une histoire particulière : je l'ai élevée, avec ma sœur, pendant les premières années de sa vie. Donc c'est brutal, c'est violent, c'est difficile pour moi."

Déclaration surprenante parce que saturée d’émotions. Marine Le Pen nous donne à voir un mélange de tristesse et de déception : ce sont des affects inhabituels dans la bouche d’une candidate en pleine campagne.

L'émotion n'exclut pas la stratégie

On peut tout à fait comprendre que Marine Le Pen passe, ces jours-ci, un mauvais moment. Mais cela n’exclut pas pour autant, une part de stratégie. N’oublions pas qu'elle est une ancienne avocate et une femme politique expérimentée : on peut tout à faire imaginer que si elle laisse ses émotions s’exprimer, c’est parce qu’elle le choisit, et non qu’elle le subit.

Au premier abord, cette séquence n'est certes pas dans son intérêt. Exprimer une forme d’abattement, comme le fait Marine Le Pen, c’est évidemment une émotion très négative pour une candidate à la présidence de la République, puisque c’est l’affect d’une perdante. Si on réfléchit en termes d’ethos, c’est-à-dire de l’image qu’une oratrice ou un orateur renvoie de lui-même, cela peut constituer une blessure profonde. Mais en même temps, cette image, elle tente ensuite de la retourner à son avantage. Quand on lui demande si la politique justifie tous les sacrifices, y compris celui des lien familiaux, elle répond : "Ce n'est pas la politique qui mérite un sacrifice, ce sont les Français qui le méritent."

"Notre pays, le peuple français qui souffre beaucoup, méritent tous les sacrifices. Mais ce n'est pas parce qu'ils méritent tous les sacrifices que ce n'est pas douloureux."

Marine Le Pen

sur CNews

 Ici, Marine Le Pen tente d’opérer un retournement complet de son ethos. Certes, c’est une femme blessée. Mais cela ferait d’elle, non pas une perdante pleurnicharde, mais une missionnaire altruiste, prête à se sacrifier dans l’intérêt des Français.

Une arme contre Éric Zemmour

Quelques minutes plus tard, elle complète encore cette image, pour en faire cette fois une arme dirigée contre son adversaire Éric Zemmour : "Je ne crois pas du tout qu'il soit susceptible aujourd'hui, demain, ni d'ici l'élection, d'opérer un croisement des courbes et de repasser devant moi. J'ai rencontré des centaines de milliers de gens. Ils ne veulent plus du bruit et de la fureur des polémiques, du buzz... Ils en sont gavés, saturés. Ils voudraient qu'on parle de politique, des sujets de fond."

Face à Éric Zemmour, qui serait le candidat de la déraison, des trahisons et de la brutalité, elle serait la candidate de l’apaisement, du rassemblement et de la sensibilité. Elle utilise la situation présente pour tenter, non seulement de renforcer sa propre image, mais aussi de nuire à celle d'Éric Zemmour.

D’ordinaire, dans ce régime où les présidents sont souvent qualifiés de "monarques républicains", les candidats cherchent plutôt à exhiber de la force et de la poigne. Mais c’est justement ce qui rend cette séquence si étonnante, d’un point de vue rhétorique. Marine Le Pen tente de s’imposer au sein du camp identitaire avec un ethos qui admet une part de fragilité. C’est suffisamment nouveau pour être souligné.

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