Présidentielle 2022 : faut-il choisir… de s’abstenir ?
Après avoir analysé la rhétorique des 12 candidats à la présidentielle, Clément Viktorovitch se penche sur le 13e choix possible à l'occasion de la présidentielle : celui de l'absenttion.
C’est en quelque sorte la première des décisions à laquelle nous autres, citoyennes et citoyens, seront confrontés dimanche 10 avril à l'occasion du premier tour de la présidentielle. Avant même de savoir pour qui nous allons voter, nous devons déjà déterminer si nous irons voter !
Alors, en apparence, cette question n’en est pas une. Après tout, le vote, c’est un droit, mais c’est aussi… un devoir, n’est-ce pas ? Cette phrase, nous l’avons toutes et tous tellement entendue qu’elle en devient un réflexe rhétorique. Et pourtant, elle est fausse. Elle est même plus que fausse : elle est auto-contradictoire. Le vote ne peut pas être à la fois un droit et un devoir, puisqu’un droit n’est un droit que si nous avons le droit de ne pas le faire valoir. Un droit obligatoire, ce n’est plus un droit : c’est un devoir. En l’occurrence, en France, le vote est un droit : nous pouvons toutes et tous légitimement nous poser la question d’aller, ou de ne pas aller voter.
De bonnes raisons pour ne pas aller voter
On peut, par exemple, vouloir exprimer un rejet du système représentatif dans son ensemble, si l’on estime que celui-ci ne permet pas de réaliser véritablement l’idéal de la souveraineté populaire : c’est un argument audible ! Discutable certes, mais audible. Et d’ailleurs, plus généralement, cela fait bien longtemps que la science politique s’interroge sur les motivations qui poussent les électeurs à se rendre aux urnes. Parce que, si nous regardons l’acte de vote de manière froidement rationnelle, à l’aune d’un strict calcul coût-bénéfice. Les coûts du vote sont très élevés. Très élevés ! Il faut s’informer, se déplacer, faire la queue, prendre le risque de se disputer pendant les dîners de famille… Tout ceci demande un investissement considérable en temps et en énergie. Les bénéfices du vote, en revanche… sont dérisoires. Une voix sur plusieurs dizaines de millions de suffrages exprimés : c’est autant d’influence sur le résultat du scrutin qu’une goutte d’eau n’en a sur le niveau de la mer. Si les électeurs étaient rationnels, ils n’iraient donc pas voter : tel est le paradoxe dégagé par le politologue américain Anthony Downs, dans son livre célèbre de 1957, Une théorie économique de la démocratie.
De bonnes raisons pour aller voter
Pour commencer, l’acte de vote ne se résume pas à un calcul comptable. Pour l’immense majorité des électeurs, il y a aussi un aspect rituel et symbolique dans le vote. On ne se rend pas seulement aux urnes pour influer sur le scrutin, mais également pour affirmer notre attachement à la démocratie et notre appartenance à la communauté des citoyens.
Par ailleurs, depuis les années 50, on s’est rendu compte que l’acte de vote obéit davantage à une rationalité collective qu’à une rationalité individuelle. Si je pense mon vote comme une action isolée, alors, en effet, son influence sur le scrutin est marginale. Mais si je me pense comme membre d’une communauté plus large, celle de toutes les personnes qui pensent comme moi, alors, ensemble, nos bulletins mis en commun ont le pouvoir de faire changer les choses. D’autant que, dernier argument : si, il existe des situations dans lesquelles le moindre bulletin compte ! Souvenons-nous de 2002, par exemple : il n’avait manqué à Lionel Jospin que 2 à 3 voix par bureau de vote pour se qualifier au second tour en lieu et place de Jean-Marie Le Pen.
Choisir son avenir
Je ne crois pas que ce soit mon rôle d’inciter à quoi que ce soit, voter ou s'abstenir. Au contraire : je constate que, quel que soit ce qu’ils décident de faire, aller aux urnes ou non, voter par stratégie ou par conviction, les électeurs ont leurs raisons (pour reprendre l’expression de la politologue Nonna Mayer). Cela étant, je ne peux pas non plus faire abstraction du contexte dans lequel nous nous trouvons. Rarement, au cours d’une présidentielle, nous n’aurons vu des projets aussi radicalement opposés se disputer les suffrages des Français. Avec ou sans nous, que nous choisissions de voter ou de nous abstenir, lundi matin, notre pays aura de toute façon commencé à choisir son avenir.
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