"La présidentielle est annulée" : et si une réelle prise en compte du vote blanc changeait le cours de l'élection ?
Face à l'abstention record ou à la légitimité contestée des élus, la prise en compte du vote blanc est souvent avancée pour redonner du sens à notre démocratie. Mais cette solution est-elle envisageable pour l'élection présidentielle en France ?
À une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, le risque d’une forte abstention plane sur le scrutin. Selon le dernier baromètre quotidien Ipsos-Sopra Steria pour franceinfo, moins de 70% des électeurs sont certains d'aller voter. Cela constituerait un record par rapport aux autres élections présidentielle sous la Ve république. Pour renforcer la légitimité des élections, le vote blanc est souvent présenté comme la solution.
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Un vote blanc qui a du sens à condition d’être “réellement” reconnu et considéré comme un suffrage exprimé, expliquent ses défenseurs. Une large majorité des Français semble y être favorable. Selon un sondage publié par le site d'information HuffPost, jeudi 31 mars, ils sont 66% à être pour la reconnaissance du vote blanc à la présidentielle. Mais quelles seraient les conséquences concrètes sur l’élection d'une telle prise en compte ?
Un vote blanc décompté mais toujours pas considéré comme exprimé
Le vote blanc consiste à déposer dans l'urne une enveloppe vide ou contenant un bulletin vierge, sans de nom de candidat. Les bulletins blancs ne sont pas fournis officiellement. Les électeurs qui souhaitent les utiliser doivent les apporter avec eux. Ce vote est vu comme une volonté de l'électeur de se démarquer du choix qui lui est proposé tout en continuant de participer au scrutin, souligne le site Vie-publique.fr. Le vote nul, lui, est assimilé à une erreur, volontaire ou non : bulletin annoté ou déchiré, non réglementaire ou sans enveloppe.
Depuis la loi du 21 février 2014, les votes blancs sont décomptés mais Ils n'entrent pas en compte pour le calcul des suffrages exprimés. "La loi ne va pas suffisamment loin parce que ce vote est toujours jeté à la poubelle", déplore Florian Demmel, porte-parole de Citoyens du vote blanc. Créée il y a plus de dix ans, cette association milite pour une “réelle” prise en compte du vote blanc. "On n'a pas la possibilité d'avoir un vote digne pour ces millions de Françaises et de Français qui ne se reconnaissent pas dans l'offre politique", poursuit le porte-parole.
Devenue le Parti du vote blanc, l’association a tenté de présenter un candidat à différentes élections, notamment à la présidentielle de 2017. "On avait une centaine de promesses de parrainage qui s'est convertie au final en une quinzaine de parrainages réels", raconte Florian Demmel. Insuffisant pour pouvoir proposer à l'électeur un bulletin dans les bureaux de votes. Lors du scrutin de 2017, le vote blanc a battu des records parmi les électeurs qui se sont déplacés au second tour. Il y a eu 8,51% de votes blancs et 2,96% de votes nuls. Un score élevé qui n’a plus été atteint lors des élections suivantes.
La loi de 2014 implique aussi un décompte des votes blancs séparément des votes nuls. Cette différenciation n'a pas lieu d'être, selon le sociologue Jérémie Moualek, chercheur à l’université d’Evry. "La très grande majorité des votes nuls ne sont pas des erreurs et sont des votes blancs dans l'esprit", explique-t-il. Il a notamment étudié plus de 16 000 bulletins pour une étude sur le vote blanc et nul et plaide pour un décompte de toutes les voix, sans hiérarchie juridique entre les votes. "En quoi le vote blanc est plus légitime que quelqu'un qui a écrit les raisons de pourquoi il ne vote pas pour tel ou tel candidat ?", demande Jérémie Moualek qui partage des bulletins considérés comme votes nuls tous les jours sur les réseaux sociaux.
A 2 mois du 1er tour, je me lance dans la publication d'un tweet quotidien dans la lignée de @renaud_epstein () :
— Jérémie Moualek (@JeremieMoualek) February 10, 2022
Un jour, un bulletin de vote (archivé)️
[ici, issu du 1er tour de la Présidentielle 2012 - Archives départementales de l'Oise ⬇️] pic.twitter.com/7pVODLNKVc
Un président élu à une majorité relative ?
En prenant en compte les votes blancs et nuls dans les suffrages exprimés des anciennes élections présidentielles, Jacques Chirac et François Hollande n’auraient pas eu la majorité absolue en 1995 et 2012. Le premier aurait atteint 49,5% des suffrages (il a été élu avec 52,64% des suffrages exprimés), le deuxième aurait plafonné à 48,63% (au lieu de 51,64% des suffrages exprimés) "L'intégration des votes blancs et nuls dans les suffrages exprimés aurait au moins le mérite d'avoir des résultats qui seraient bien plus transparents, explique Jérémie Moualek. On aurait une prise en compte concrète et formelle de des conditions réelles de l'élection des uns et des autres." Un président élu à la majorité relative contredit l'essence de la Ve République, estime le constitutionaliste Didier Maus : "L’idée de la réforme de 1962 et des dispositions qu'on a actuellement, c'est de dire qu’il faut que le président ait la majorité des suffrages exprimés. Pour que cette majorité existe, on a fait en sorte qu'il n'y ait plus que deux candidats au deuxième tour."
"Peut-on autoriser les électeurs qui n'ont pas choisi un candidat ou une candidate à faire partie de la base de calcul de la majorité ?", s'interroge Didier Maus, pour qui, cette question du vote blanc revient comme un serpent de mer à chaque scrutin marqué par une forte abstention. "Lors des dernières élections municipales, tout le monde s'est affolé, et moi le premier, à cause des taux de participation extraordinairement bas et de la crainte que cela délégitimise les élus, raconte Didier Maus. Trois à six mois après, on a oublié que des politiques ont été élus avec des taux d'abstention supérieurs à 50%. Cela n'a pas affaibli les équipes municipales."
Pour les détracteurs de la reconnaissance du vote blanc, en donnant une majorité absolue à l’élu au second tour, le système actuel donne une légitimité institutionnelle et politique naturelle. Mais ce risque de perte de légitimité "correspond déjà à la réalité politique du pays, ce n'est pas une solution que de nier une maladie démocratique", rétorque Florian Demmel, porte-parole de Citoyens du vote blanc, qui a notamment travaillé comme responsable communication chez Les Jeunes avec Macron, sans être encarté.
"C'est bien beau de dire qu'il y a un président élu avec 66% des voix des Français. Mais derrière il faut quand même prendre en compte les abstentionnistes qui l’ont fait par conviction et les 8% de votes blancs qui ont été jetés à la poubelle lors des dernières élections, c'est quand même énorme. Ce n'est pas une solution de masquer cette réalité."
Florian Demmel, porte-parole de Citoyens du vote blancà franceinfo
Pour les défenseurs de la reconnaissance du vote blanc, on peut même envisager l’annulation de l’élection si le vote blanc dépasse un certain seuil. Le cas de la Colombie est souvent cité en exemple. Dans ce pays d'Amérique du Sud, une élection est invalidée si le taux de vote blanc dépasse les 50% et un nouveau scrutin doit être organisé avec de nouveaux candidats. En 2011, l'élection du maire sortant dans la ville de Bello a été annulée car il y a eu 56,7% de votes blancs. Un scénario plausible en France pour l'élection présidentielle ? "C'est très rare comme disposition en France, d'avoir des taux minimaux de participation, mais c'est intellectuellement possible. Mais avec une spirale infernale derrière : qu’est-ce qu'on fait si ça ne marche pas ?", résume le constitutionnaliste Didier Maus. "Il y a un risque de blocage, mais est-ce qu’on peut continuer à ne pas écouter véritablement les Français ? À un moment donné, la colère et la frustration risquent, j'en ai bien peur, de déboucher sur des réelles violences physiques envers des élus", argumente Florian Demmel faisant référence à la crise des gilets jaunes.
Une proposition en débat
En réponse à la crise des gilets jaunes, le président de la République avait un temps évoqué cette possibilité du vote blanc avant de la rejeter. "J’y ai beaucoup réfléchi et je ne le ferai pas", déclarait le président de la République le 25 avril 2019. Les élus réfléchissent de plus en plus à cette question. “Les propositions de loi sur le vote blanc ne font que se multiplier", explique le chercheur Jérémie Moualek qui déplore que "depuis le milieu des années 1990, il y a l'idée qu’il pourrait être un remède à l’abstention et qu’il y aurait un effet un peu magique du vote blanc, alors que le problème est bien plus complexe".
Qu’en est-il des candidats à l’élection présidentielle ? La reconnaissance du vote blanc apparait notamment dans les programmes de Jean Lassalle et de Nicolas Dupont-Aignan. Ce dernier précise dans son programme que si "le vote blanc est majoritaire, le scrutin est reporté et les candidats battus ne peuvent pas se représenter". "Je souhaite le reconnaître et le prendre en compte", déclarait Anne Hidalgo, le 25 janvier. La candidate socialiste n’excluait pas la possibilité "d'annuler l’élection". De son côté, le programme de Jean-Luc Mélenchon contient la reconnaissance du vote blanc et l’instauration d’un seuil de votes exprimés pour valider une élection. Une mesure liée à la mise en place du vote obligatoire. Pour le constitutionaliste Didier Maus il s’agit là "d'un autre serpent de mer".
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