L'islamophobie en France selon Claude Askolovitch
La semaine dernière,
nous parlions de la laïcité. Mais cette semaine, c'est un livre signé par le journaliste Claude Askolovitch, Nos mal-aimés : ces Musulmans dont la France ne veut pas , qui fait polémique. Des éditos un peu partout : Le Point , Marianne , Le Figaro ; dix pages dans Libération ...
Claude Askolovicth est
journaliste, de gauche. Il a travaillé au
JDD , au Nouvel Ob s, à Europe 1 et à Marianne et il a été
écarté, presque chaque fois après des polémiques – et
notamment au Point après un article sur le Halal, qui est le
prétexte de ce livre. Mais au-delà de l'auteur,
partons du livre. Et parlons-en.
La laïcité opprimerait désormais les musulmans
Il s'agit d'abord
d'une enquête : Claude Askolovitch a
rencontré un musulman qui aide les SDF et leur offre la soupe
populaire ; un imam pacificateur à
Drancy ; un salafiste qui
travaille à la RATP ; un syndicaliste Force
Ouvrière à Marseille, supporter de l'OM et intégriste ; une employée de
banque qui prie en cachette dans un placard à balais ; un blogueur ; un
footballer ; un prédicateur des Frères musulmans ; et même un auteur
de BD chez Dargaud. Bref, des portraits bien
ciselés. Vite faits.
**Au-delà de
l'enquête, que dit l'ouvrage ? **
Claude
Askolovitch dit que nous sommes devenus islamophobes. Que la laïcité
(la France donc) opprime désormais les musulmans. "Que L'islam
est une obsession, une maladie française, une passion gauloise". Et l'auteur dit une seule chose
: "Nous sommes allés trop
loin".
**En quoi serions nous
allés trop loin ? **
Claude Askolovitch explique
par exemple qu'il n'y a guère de raison d'interdire le voile à
l'université. Il défend les femmes
voilées qui s'occupent d'enfants à leur domicile,
car la laïcité
s'applique à l'espace public et non à l'espace privé. Il prend aussi la
défense de l'employée voilée de la crèche Babyloup.
**Ce livre marque
peut-être un tournant
**
C'est la première
fois qu'un journaliste de renom, "juif de gauche " de surcroit - comme il l'écrit lui-même-, prend
la défense de l'islam. Du coup, il est attaqué
comme "islamophile" par ceux qu'il accuse d'être "islamophobe". La charge de Claude
Askolovitch est forte contre la "boîte à peur", contre les "Unes" anti-islam
des magazines.
Et les critiques dont il a
été l'objet sont tout aussi violentes. A l'arme lourde : Caroline Fourest dans Le Nouvel Obs , Natache Polony dans Le
Figaro , Maurice Szafran et
Eric Conan dans Marianne , Elisabeth Lévy dans Le
Point ...
Ils l'accusent de
faire le jeu de l'extrême droite, de préférer l'islam
à la France, d'être un traître à
sa nation et pourquoi pas collaborateur (il rejoindrait la ligne de
Rivarol , c'est à dire un journal d'extrême
droite, nous dit même Marianne ).
**Pourquoi la thèse
de l'ouvrage est-elle à ce point inaudible ? **
La thèse de Claude Askolovitch nous dit
en fait que la France a changé et que c'est "irréversible". La France est devenue
"bigarrée et compliquée" - il affirme donc, en
creux, que la France est multiculturaliste. C'est la "valse
d'un adieu" écrit-il, un adieu à la France comme nous la
connaissions.
Claude Askolovitch a mis le
doigt sur le sujet sensible : la diversité française. Il a raison. Mais il va trop loin :
Il s'en prend à la France "pompeuse et défaite",
"confite", "en déclin". Et conclut en disant
qu'il a écrit ce livre, "avant de ne plus aimer [son] pays".
Mais il n'a jamais
parlé de la "France musulmane", comme certains le
disent pour le discréditer. Il parle d'une France qui
devient "aussi" musulmane, c'est à dire pluri-religieuse,
diverse et multiethnique.
**Un ouvrage qui n'est pas sans défauts
**
Le livre
est intéressant et efficace. Mais possède trois défauts majeurs :
L'hystérisation : "Je suis un
combat", écrit Claude Askolovitch. Tout est dit. C'est un
livre de combat. Il critique les
Français hystérisés mais il est lui-même hystérique. Beaucoup de formules
sont assez "limites", comme lorsqu'il parle de Marianne, la
figure de notre République, qui "vieillit" et devient "cougar". On aurait aimé une
approche plus neutre, une enquête plus apaisée sur le modèle de
Florence Aubenas par exemple, laquelle prépare d'ailleurs un livre sur le
sujet.
La personnalisation : Claude Askolovitch est excessif, agressif, polémique. Il nous dit, à chaque
chapitre qu'il parle en tant que juif. Il mêle constamment
sa vie privée et son sujet. Il interviewe des musulmans, c'est bien mais il nous dit que ce sont ses amis, ses potes. C'est problématique pour un
journaliste.
La fragilité de
l'enquête : on a l'impression
d'une enquête un peu bâclée. On aurait aimé lire
une grande enquête sur les musulmans de France. Il n'en est
rien. Le journalisme, c'est
d'abord décrire, constater, dire. Et ne pas crier plus fort que
les autres. On peut tout comprendre - ce qui ne signifie pas tout
excuser. Et cette enquête est faite surtout
à Paris - et même à Sciences Po Paris. On aurait aimé 200
interviews dans 30 villes de France. Et puis pourquoi
interroger des pratiquants, et de préférence des radicaux ? Pourquoi pas des gens normaux - alors
que des millions de Musulmans vivent sans problème dans la laïcité ? Et pourquoi si peu de femmes ?
Au final : un livre compliqué et "encombré"
(par tout ce qu'il transporte) ; mais un livre courageux aussi. Car c'est quoi au fond
un grand livre ? Celui qui fait bouger les lignes. C'est le cas mais peut-être
pas celui qui fait tout exploser.
Au-delà
du livre, que révèle cette polémique ?
Cela confirme que l'islam est l'une des principales lignes de
clivage de la vie des idées en France. Et cela est
problématique. On ne voit et on ne parle que des
problèmes. Pourquoi les
intellectuels, les journalistes, ne pensent qu'à lutter contre
l'islam ou, au contraire, à défendre les musulmans ? Rares sont ceux qui
parlent des progrès, pourtant souvent réels, de l'intégration. Communautariste contre
Laïciste : le débat mérite mieux, non ?
Personne dans ce débat
ne tient vraiment compte de la réalité, de la vie des gens, de la complexité des situations. Aucune de ces figures
sans générosité n'a su trouver les mots justes, ceux d'un
Barack Obama par exemple, osant dire au Caire, en 2009 : " Je considère
qu'il est de ma responsabilité, en tant que président des
États-Unis, de combattre les stéréotypes contre l'islam d'où
qu'ils viennent..."
En France, on dit
rarement cela. Et ils sont peu nombreux les journalistes ou les
intellectuels qui saluent les avancées : le taux de mariage
mixte ; l'énergie créatrice
des quartiers ; le courage des
entrepreneurs de PME et de start-up ; etc...etc... Pourquoi ne pas rassembler au lieu de diviser ? Faire des
propositions en faveur de l'intégration au lieu de lancer des
anathèmes ?
Alors comment sortir par le haut de ce débat ?
Le mot "islamophobie" fait lui-même débat. On l'emploie d'ailleurs souvent
encadré de guillemets. Il est souvent critiqué, mais il est aussi stratégique : il permet parfois d'avancer.
Face à cette polémique, il ne faudrait pas parler seulement des musulmans mais des "identités plurielles". Le
prix Nobel Amartya Sen, un indien immigré au Royaume Uni et
aujourd'hui professeur à Harvard, les évoque dans l'un de ses livre, Identité et violence . Son idée forte consiste à refuser de parler d'identité
unique. On n'est pas seulement musulman, ou Français, ou femme, ou membre de telle classe sociale, ou habitant de telle ville ou de telle région. Chacun de nous a des "identités multiples". Cette
"pluralité d'identités" est ce qui caractérise
l'être humain.
Accorder
une seule identité par individu revient à "miniaturiser"
les êtres humains, dit Amartya Sen. Et cela peut conduire à la
violence. Cette
théorie des identités plurielles permettrait peut-être de mettre
tout le monde d'accord, y compris Claude Askolovitch et ses
violents détracteurs.
* Bibliographie :
-
Claude Askolovicth, Nos mals-aimés : ces musulmans dont la France ne veut pas , Grasset, septembre 2013
-
Amartya Sen, Identité et violence , Odile Jacob, février 2010
-
Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman" , La Découverte, septembre 2013
- Béligh Nabli, Comprendre le monde arabe , Armand Colin, septembre 2013
* (Ré)écouter notre précédente chronique à propos de la Charte de la laïcité
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