Masse salariale limitée : "Les clubs ont fait de trop gros contrats aux joueurs par rapport à la réalité économique, ce qui n'était pas tenable"

Les salaires des joueurs professionnels se sont envolés, ces dernières années dans l'esport, sur certains jeux, à tel point qu'une régulation des salaires vient d'être annoncée par Riot Games, l'éditeur de "League of Legends." Décryptage avec Laure Valée et le PDG de Vitaly, Nicolas Maurer.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Nicolas Maurer, PDG du club d'esport français Vitality en 2019. (ALAIN JOCARD / AFP)

Riot Games annonce donc un "salary cap", mis en place dès l'année prochaine, dans le championnat européen de League of Legends. Réaction de Nicolas Maurer, PDG du club Vitality, concerné par la mesure, et pour commencer le décryptage de Laure Valée, consultante esport de franceinfo.

franceinfo : La masse salariale sera donc limitée pour les équipes qui, si elle dépasse le montant fixé, devront reverser une taxe aux équipes qui respectent la règle ?

Laure Valée : Oui, certaines équipes vont devoir revoir leur façon de gérer les mercatos, elles vont devoir resserrer les cordons de la bourse ! Car l'éditeur du jeu qui organise les compétitions a annoncé cette semaine que les salaires cumulés des cinq joueurs d'une même équipe, ne pourront pas dépasser une certaine somme, autour de 2 millions d'euros par an.

Cela signifie qu'aujourd'hui c'est le cas, certains joueurs gagnent plus de 500.000 euros par an ?

Oui, les salaires des joueurs esport peuvent aller très, très haut, en fonction des disciplines. Cela représente une infime minorité, mais c'est le cas pour les top meilleurs. Ce sont des stars, des talents rares, et ils sont aussi très populaires, ils ont des millions de fans, ce qui explique ces salaires élevés.

Il y a aussi une concurrence internationale avec les championnats étrangers, notamment le championnat américain, qui s'arrachent les meilleurs joueurs. Et puis c'est un peu parti dans tous les sens, ces dernières années. L'esport a explosé. Les sponsors sont arrivés. Il y a eu de gros investissements. Il est donc assez logique de revenir à des montants plus normaux, et plus cohérents, pour des raisons économiques et compétitives.

Masse salariale maximum pour les équipes d'un même championnat, à quoi ça sert ?

Il existe un système assez similaire en NBA, le championnat américain de basket. Il y a une masse salariale maximum, depuis plusieurs dizaines d'années. Les équipes qui dépassent doivent payer une taxe, qui est ensuite reversée et répartie entre les équipes moins riches, qui respectent la règle. Là, dans l'esport, cela sera à peu près la même chose.

Le but est de maintenir une stabilité financière pour les équipes. On est dans un système franchisé, il n'y a pas de relégation et de promotion. Il faut vraiment tenir dans la durée. Et l'autre objectif, c'est de maintenir une concurrence entre les équipes, et de conserver un intérêt sportif. Qu'il n'y ait pas trop de David contre Goliath, comme confrontations, et que l'équipe qui gagne ne soit pas toujours la plus riche, même si c'est déjà loin d'être le cas, à chaque fois !            

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Et quelle conséquence pour les clubs concernés ?

franceinfo a posé la question à Nicolas Maurer, PDG du club français Vitality, concerné par la mesure car aligné en LEC, le championnat européen de League of Legends.

franceinfo : Est-ce que ce salary cap est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour Vitality ?

Nicolas Maurer : C'est une bonne nouvelle pour Vitality, mais surtout pour l'écosystème esport et League of Legends en général. C'est ce qui nous permet de nous projeter, loin dans l'avenir, pour créer un écosystème pérenne.

"On ne va pas forcément devoir réduire des salaires. Les corrections et les ajustements concerneront assez peu de joueurs. L'esport est en train de se rationaliser, les équipes sont un peu plus précautionneuses aujourd'hui, sur les dépenses et les salaires des joueurs."

Nicolas Maurer, PDG de Vitality

à franceinfo

Après une forte inflation des salaires, cette mesure va-t-elle donner de l'air aux clubs ?

Ça ne va pas changer grand-chose à court terme car, en réalité, il y a déjà une correction du marché. L'esport est en train de se rationaliser, les équipes sont un peu plus précautionneuses aujourd'hui, sur les dépenses et les salaires des joueurs qu'elles ne l'étaient précédemment. Ce mouvement est déjà enclenché.

À mon sens, ce salary cap est plutôt un sujet d'avenir, pour s'assurer, qu'à long terme, il y ait une corrélation entre la valeur générée par la ligue, et la valeur qui va aux joueurs. Par le passé, on sait que les clubs ont fait de trop gros contrats aux joueurs, par rapport à la réalité économique, ce qui n'était pas tenable sur le long terme.

Vous allez devoir réduire des salaires au moment de renouveler les contrats ?

On ne va pas forcément devoir réduire des salaires, puisqu'aujourd'hui les chiffres donnés par Riot Games et la façon de calculer et de créer ce nouveau système, sont fondés sur la réalité actuelle. Mais il y a quelques exceptions, quelques top joueurs qui sont hors marché. Mais les corrections et les ajustements concerneront assez peu de joueurs.

Comment les joueurs réagissent-ils ?

On n'a pas vraiment échangé avec les joueurs. Il n'y a pas eu de communication publique de la part des joueurs. Comme l'impact est minime, a priori à court et moyen terme, je n'ai pas l'impression qu'il y ait d'énormes réactions.

Est-ce envisageable de dépasser la masse salariale limitée, et de payer la luxury tax aux autres clubs ?

C'est pour cela que ce système est conçu : pas sur un mode d'interdiction ou de sanction, comme l'exclusion de la ligue, mais plutôt sur un mode "pénalité", si on dépasse. Cela peut permettre à une équipe de prendre son risque économique, d'estimer qu'elle peut dépenser plus, pour servir ses intérêts.

Simplement, c'est beaucoup plus difficile et punitif de faire ce choix-là. L'équipe va devoir avoir de très bonnes raisons de le faire, car l'argent dépensé, et la taxe générée vont revenir dans la poche des concurrents. Donc, il y a vraiment beaucoup de freins à vouloir faire ce choix, mais ce n'est pas impossible.

Y a-t-il un risque de fuite des talents vers d'autres régions ?

En réalité, pour moi, ça ne change rien. Par le passé, avant que le système arrive, il y avait déjà un risque, puisque certaines ligues étaient en capacité de payer plus, notamment les LCS, quand le marché était florissant. Il y avait déjà une fuite de certains talents, certains joueurs choisissaient de s'exporter quand d'autres préféraient la compétitivité de l'Europe.

À mon sens, cela va toujours être la même chose, mais ce qui contrebalance ce risque-là, ce sont les règles des imports, car chaque région ne peut avoir que deux imports et aligner trois joueurs originaires de son championnat domestique. Donc, cela limite les départs d'une ligue à l'autre.

Est-on certain que la mesure ne sera pas contournée ?

Nicolas Maurer : Deux réponses à cela. D'abord on est très confiant dans la robustesse du système conçu par Riot Games. Honnêtement, je suis assez impressionné par ce que j'ai vu, ils ont pensé à tout, ça va très loin. Et c'était amusant de voir les réactions Twitter, basiques de chez basiques : "Ah, mais les clubs vont faire ça, ça ou encore tel moyen de contourner".

Donc évidemment tout a été calculé. Mais comme toutes mesures et toutes règles, il y aura peut-être des gens qui vont vouloir contourner. Et l'important, c'est aussi les moyens de contrôle qui vont avec. Et Riot s'est donné les moyens de venir auditer, de regarder de très près les comptes des clubs. Donc je pense qu'il y a assez peu de risques. Et j'imagine qu'il sera mis à jour, mais cette première version est déjà très bien pensée.

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