Guerre Israël-Hamas : une conférence humanitaire, des pistolets et des pilules
C'est une plaisanterie que j'avais lue dans la presse israélienne il y a quelques années : "Toute crise internationale a sa conférence à Paris. Peu importe ce qui en sort les français veulent une conférence à Paris". Jeudi 9 novembre, l'Elysée a effectivement accueilli la première conférence humanitaire pour Gaza. "Dans l'immédiat, c'est à la protection des civils qu'il nous faut travailler. Il faut pour cela une pause humanitaire très rapide et il nous faut oeuvrer à un cessez-le-feu", a déclaré Emmanuel Macron. Jusqu’ici, le président de la République n’avait jamais appelé à un cessez-le-feu. Pour le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, interrogé sur Fox News, "un cessez-le-feu avec le Hamas signifie une reddition, rien ne nous arrêtera". En revanche, le président américain Joe Biden a convaincu Israël de suspendre ses bombardements sur le nord de Gaza pour laisser les civils palestiniens quitter ce secteur où les troupes israéliennes sont désormais déployées au sol.
En Israël, les habitants suivent cette opération terrestre avec angoisse. Le pays est encore prostré. Le journaliste Sébastien Laugénie, correspondant de Radio France à Jérusalem de 2013 à 2015 vient d’y revenir. Il a été marqué par l’omniprésence des photos des otages dans un pays totalement au ralenti : "À l'arrivée à l'aéroport, on est de suite saisis par les images des otages. Ce sont les premières choses qu'on voit : ces 240 photos d'enfants, de personnes âgées, de civils israéliens, c'est là qu'on prend conscience de l'énorme traumatisme qu'est en train de traverser ce pays."
Près de 250 000 civils israéliens ont dû quitter leur maison près de Gaza ou du Liban et 350 000 réservistes sont mobilisés pour l'intervention militaire à Gaza. Encore plus que d'habitude, des soldats et la police patrouillent dans les rues, lourdement armés, parfois cagoulés. Mais ça n’est pas tout : la société civile s’arme comme l’ont constaté nos envoyés spéciaux Jérémy Tuil et Agathe Mahuet. La loi israélienne a été modifiée. "Il est maintenant possible de recevoir le permis en deux semaines, un mois maximum alors qu’avant, il fallait attendre au moins un an", explique un vendeur dans une armurerie de Jérusalem où les ventes ont été multipliées par dix. Un pistolet coûte en moyenne ici 3 000 à 5 000 shekels, soit un millier d’euros. En 2022, 38.000 demandes de permis d’armes avaient été déposées en Israël. Il y en a eu 40 000 ces trois dernières semaines.
Des armes et des pilules
Les Israéliens essaient de se rassurer avec des armes et avec… des pilules. Dans Yediot Aharonot, le journal le plus vendu en Israël on apprent que « Selon la mutuelle de santé Maccabi, les demandes de somnifères et de sédatifs ont augmenté de 90% depuis un mois. À la mutuelle Meuhedet, elles ont triplé. Le docteur Kadman, médecin conseil à Maccabi recommande : "Essayez la méditation avant de choisir les comprimés pour dormir ou tout autre chose qui aide à se relaxer : une musique agréable, ou même un verre de vin rouge, un chocolat chaud le soir... Les comprimés pour dormir, c'est en dernier ressort."
À Tel Aviv cette semaine on a encore frôlé les 30 degrés. Malgré ces températures de saison, la plage est presque déserte. On y croise Uriel, un travailleur social. "J'aime venir à la plage pour prendre soin de moi et de ma santé mentale, confie-t-il. La science dit que quand tu sors de ton lit, quand tu ne restes pas toute la journée à la maison, cela aide à gérer ton traumatisme. Je viens du kibboutz Kfar Gaza. Pendant les combats j'étais à côté de la ville de Netivot. Des participants à la rave ont été massacrés, presque 300 personnes. Des personnes innocentes. Et quand j'étais là, quand j'ai vu les corps j'ai aidé les soldats qui avaient été blessés pendant les combats. Ils sont venus avec nous dans les ambulances, avec les soignants dans notre centre social à Netivot. Ce n'est pas normal."
"Le gouvernement a rompu le contrat que j'avais passé avec lui : ma part du contrat, c'est payer mes impôts, être un bon citoyen et respecter la Loi. Et leur part du contrat, c'est de me protéger là où je vis."
Uriel, un travailleur social
Pour Yaëlle Ifrah, spécialiste de la société israélienne, ancienne conseillère parlementaire à la Knesset et aujourd'hui entrepreneuse high-tech, "Israël est une société en trauma permanent de par son Histoire marquée par les guerres et le terrorisme. Il y a une peur existentielle de disparaître. Pour l’instant, les Israéliens ont choisi de consacrer la totalité de leur espace mental et psychologique à la lutte contre le trauma et à l’effort de guerre. Mais déjà au bout d’un mois, on voit que les failles sous-jacentes dans la société israéliennes – politiques ou religieuses – n’ont pas disparu". A cet égard, le ministre du travail de Beyamin Netanyahou issu du parti ultra-orthodoxe Shas demande des élections dans les trois mois qui suivront la fin de la guerre, ainsi qu’ue commission d'enquête sur les fiasco de l'armée et des services de renseignements israéliens le 7 octobre. Sur la chaîne américaine ABC,le Premier ministre israélien est interpellé de façon très directe par son intervieweur : "Pensez-vous devoir assumer une responsabilité ?". Benyamin Netanyahou répond : "Bien sûr, il n'y a pas de question, ce sera traité après la guerre. Il y aura du temps pour ça". La thérapie collective de la société israélienne passera aussi par là.
Dans cet épisode : Sébastien Laugénie, Agathe Mahuet, Yaëlle Ifrah
Mise en ondes : Assia Veber
Technique : David Riboué-Black
Production : Frédéric Métézeau
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