En France, le rejet des élites n’est pas inédit
Les revendications des "gilets jaunes" sont très diverses et on peine parfois à y trouver une unité. Mais s’il y a bien une chose que tous semblent partager c’est une profonde défiance à l’égard des élites par opposition au peuple qu’ils prétendent incarner.
Sans remonter à la Révolution française, et pour s'en tenir à l'époque contemporaine, on vit aujourd’hui une troisième phase de ce rejet des élites. Un rejet qui repose sur une idée simple et claire : les élites ont failli, ont échoué à influencer dans un sens positif l’ensemble de la société.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des élites à renouveler
La première phase, évidemment, remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les élites politiques, médiatiques et économiques, déjà affaiblies par les scandales financiers du début des années 1930, sont totalement délégitimées par la collaboration. D’où la nécessité de les renouveler en profondeur.
La IVe République possède maintenant son école d'administration qui fournira des cadres parmi lesquels le gouvernement choisira ceux qui occuperont les emplois d'autorité où l'administration rejoint la politique. Et c'est un signe majeur de renouvellement qu'on ait fait du sport un chapitre de leur programme.
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Le sport comme signe de renouvellement, voilà une belle métaphore d’un corps qu’il faut renouveler, d’une nouvelle élite efficace et soucieuse de l’intérêt général qu’il faut sculpter.
Une nouvelle élite à son tour fortement critiquée dans les années 1990
Malgré des critiques, notamment sous la plume de Jean-Pierre Chevènement qui dénonce, anonymement, l’énarchie en 1967, l’autre grand moment de rejet des élites en tant que telles, c’est pour les années 1990.
Le débat sur le traité de Maastricht a laissé des traces chez ceux qui y ont vu le triomphe des élites technocratiques. Et ces traces, on les retrouve dans la rue, à la fin de l’année 1995, contre le plan Juppé, l’incarnation des élites, lui le normalien et l’énarque. Florilège tiré d'une manifestation de décembre : "Les technocrates, ils se retrouvent dans un autre monde et ils ne touchent plus la réalité. La pensée unique, c'est les marchés financiers, on en veut pas. Les gens qui ne font pas confiance aux salariés, aux hommes de base. Ils sont à côté de la réalité humaine." C’est dans ces années-là que s’impose l’expression de "pensée unique", qui permet d’associer dans un même rejet les élites politiques, les élites économiques, et c’est nouveau, les élites médiatiques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on avait tenté, on l’a vu, de renouveler les élites ; le débat en 1995 a lieu… Mais il tourne court. "Le reproche que moi je ferais aux élites politiques c'est leur uniformité. Au fond, ils parlent tous pareil, ils pensent tous un peu pareil. Moi je souhaiterais que l'ENA n'ait pas le monopole des élites politiques. Il faut absolument casser le moule et diversifier les élites", lance Guy Sorman, sur TF1, le 19 décembre 1995. "Ce n’est pas acceptable", répond alors Jacques Attali.
Un débat escamoté qui trouve aujourd'hui une expression impressionnante
Débat escamoté, qui ne débouchera sur aucune réforme d’ampleur, et la graine du ressentiment envers des élites considérées comme défaillantes et déconnectées va pousser, au gré de l’absence de solution au chômage de masse, ou du référendum sur la constitution européenne en 2005 où la voix du peuple a été largement bafouée. D’où aujourd’hui une troisième phase du rejet, bien plus partagé, dans les rues, sur les ronds-points depuis des semaines. Un rejet que les élites ne peuvent plus de ne pas entendre. Mais entendre ne suffira pas, il faudra écouter. Écouter et agir.
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