L'impôt sur la fortune : petite histoire d'un symbole
Le retour de l’ISF est donc au cœur du débat politique. Un impôt hautement symbolique qui a toujours été au cœur du clivage entre la gauche et la droite.
L'impôt sur les grandes fortunes (1982-1986)
C'est dans un contexte tendu, à la fois économiquement et politiquement, que l'impôt sur la fortune commence à être fréquemment évoqué.
La première archive que je vous propose date de juin 1978. Le Premier ministre Raymond Barre est soulagé, il est toujours à la barre, la gauche n’a pas gagné les législatives de mars parce qu’elle était divisée. Mais la majorité tangue et le pays demande des mesures pour lutter contre la crise et contre les inégalités.
Raymond Barre est l’invité de Cartes sur Tables, l’émission présentée par Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel, et vous allez l’entendre, l’impôt sur la fortune est LE sujet du moment…
"Posez moi la question, cela vous brûle...L'impôt sur les grandes fortunes, ce n'est pas l'arlésienne. Il sera étudié. Vous verrez quand, plus tôt que vous ne le pensez M. Duhamel..."
Mais de fait, ce projet sera enterré par la droite… Et déterré par la gauche en la personne de François Mitterrand qui a pleinement saisi la dimension symbolique d’un impôt payé uniquement par les plus fortunés des Français.
Il en fait un argument de campagne, et vous allez l’entendre, un outil de justice sociale. Il est ici, lui aussi l’invité de l’émission Cartes sur table, en mars 1981…
"Les inégalités françaises, c'est un cancer. Il y a les riches qui sont toujours plus riches, et les pauvres, et sinon les pauvres, beaucoup de gens qui tirent le diable par la queue. (...) J'ai proposé un impôt sur les grandes fortunes..."
Charge symbolique très forte, mais non défendue comme telle par François Mitterrand. Mais ce qui est intéressant, c’est que la droite en fait un symbole de la gauche qui n’aime pas les riches, et qui, plus encore n’aime pas l’entreprise.
La suppression et le retour de l'ISF (1986-1988)
C’est la raison pour laquelle, dès son retour au pouvoir en 1986, la droite fait immédiatement disparaître cet impôt qui existait depuis 1982 sous le nom d’Impôt sur les Grandes Fortunes. Jacques Chirac, Premier ministre, se justifie en inversant le discours de justice de la gauche.
"L'impôt sur les grandes fortunes était profondément injuste. Ceux qui avaient des meubles, des tableaux etc. ne payaient rien, et ceux qui avaient une entreprise devaient payer, souvent au détriment des investissements pour leur entreprise."
Cet argument de la droite, c’est aussi celui qui expliquera l’an dernier la disparition de l’ISF, et s’il a disparu en 2017, c’est qu’après 1986, il est réapparu.
Et c’est encore le fameux balancier gauche/droite qu’il révèle, incarne et symbolise. Jacques Chirac considère d’ailleurs que sa défaite doit beaucoup à l’abandon de l’impôt sur les grandes fortunes en 1986. Cet impôt est donc de retour en 1988. Michel Rocard défend le désormais impôt sur la fortune, et comme François Mitterrand en 1981, il rejette toute idée d’impôt symbolique :
"Il faut ici lever toute équivoque. L'ISF est une contribution de solidarité, pas une revanche contre les riches."
Dis-moi ce que tu fais de l'ISF, je te dirai si tu es de gauche ou de droite
Chaque camp a toujours défendu une approche pragmatique de l’impôt sur la fortune renvoyant à l’autre l’accusation en symbolisme.
Pour la droite, la gauche voulait se faire les riches, pour la gauche, la droite voulait défendre ses amis.
Dans ces conditions, cet impôt, populaire, même s’il ne rapportera jamais beaucoup -dernièrement 5 milliards contre 70 milliards pour l’impôt sur le revenu ou encore 150 milliards pour la TVA - a toujours été à manier avec grande prudence. Nicolas Sarkozy n’avait pas osé le supprimer…
Le fait que l’impôt sur la fortune, marqueur du clivage gauche/droite, revienne aujourd’hui sur le devant de la scène en dit long sur l’hésitation d’un gouvernement qui hésite lui aussi entre la droite et la gauche
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