Guide Michelin : comment gère-t-on trois étoiles obtenues à seulement 35 ans ?
Le 18 mars 2024, Fabien Ferré entre dans l'histoire de la gastronomie française en recevant trois étoiles d'un coup à 35 ans, pour son restaurant La Table du Castellet dans le Var. Lors du palmarès annuel du guide Michelin, le chef à la carrure de rugbyman est sonné par cette annonce. "Est-ce qu'un jour j'aurais pensé être sur cette scène avec la plus belle des récompenses ? Je ne pense pas." Il rend ensuite un hommage empli d'émotion à son mentor, Christophe Bacquié.
C'est en effet la première fois qu'un chef non étoilé obtient un tel honneur. Le Bourguignon, fils et frère de pâtissier, est arrivé en 2013 comme bras droit du chef Christophe Bacquié au restaurant de l'Hôtel du Castellet, situé à côté du célèbre circuit moto et automobile Paul Ricard. Dix ans plus tard, le jeune homme reprend la main et devient à son tour le chef de cette table méditerranéenne qui passe de 3 à 0 étoiles à la suite au départ de Christophe Bacquié. En créant une autre proposition culinaire, toujours centrée sur les produits de la mer, Fabien Ferré a séduit les inspecteurs du Michelin. Et un an après avoir repris la direction des cuisines de la Table du Castellet, il obtient, en son nom cette fois, cette triple récompense du célèbre guide rouge.
"Un collectif qui marche bien"
Cette prouesse a suscité un immense engouement, la distinction qu'il a reçue attire les curieux du monde entier, impatients de venir goûter ses menus "Expression végétale", qui mise sur un légume travaillé comme une viande avec une sauce, et "Expression Marine", qui valorise les produits de la mer, poissons, crustacés, coquillages.
Le chef s'en félicite : "Aujourd'hui, on est reconnu, l'activité bat son plein et on est complets jusqu'à mi-octobre. C'est extraordinaire, comparé à l'année dernière où on était un peu dans un ventre mou. Il fallait reconquérir cette clientèle et ce n'était pas évident". Pour vivre cette expérience, la fourchette des prix se situe entre 160 euros et 250 euros. Cet avant/après Michelin se mesure au niveau de cette nouvelle clientèle, explique le chef depuis son bureau aux baies vitrées situé au cœur de la cuisine. Il y a les passionnés de cuisine gastronomiques qui "font des grosses tables dans toute la France et dans le monde, qu'on n'avait pas l'année dernière." Cela ajoute encore un niveau d'exigence : "On a vraiment à cœur de bien faire au quotidien. Je fais souvent un parallèle avec le sport et le rugby en particulier, que j'ai pratiqué pendant neuf ans, car je retrouve un peu les mêmes valeurs que j'essaie d'inculquer à mes équipes. On a un collectif et ça marche plutôt bien. C'est de bon augure pour la suite", se réjouit le trentenaire.
Une récompense précoce qui fait grincer des dents
Ce parallèle entre la cuisine et le sport lui vient naturellement car, plus jeune, il s'imaginait embrasser une carrière professionnelle : "J'ai vite compris que ce n'était pas pour moi et que, même si j'en avais l'envie, il fallait que je me redirige vers autre chose". Sa passion pour la cuisine s'est développée grâce à son environnement familial : "Je suis fils d'artisan pâtissier, ma grand-mère était vraiment une excellente cuisinière. Je me rappelle ces repas de famille de 20 à 30 personnes avec mes cousines, tous mes oncles. Mes grands-parents étaient agriculteurs et ils m'ont inculqué ça, les produits de la ferme, etc. Et puis mon meilleur ami, Franck Pelux, qui est aujourd'hui le chef de la Table de Lausanne, qui a eu deux étoiles au mois de septembre l'année dernière, avait des parents restaurateurs qui habitaient juste à côté de chez mes parents. Du coup, je passais souvent mes week-ends ou début de semaine chez eux et je voyais les cuisines, le service, et ça me plaisait. À 14 ans, je me suis dit : 'boum, je vais cuisiner'."
Trois étoiles d'un coup pour une table reprise moins d'un an plus tard, même si elle avait déjà été distinguée par le Guide Michelin, cela a fait naître quelques critiques dans le milieu, sur un coup de com' supposé de la direction du Michelin. Fabien Ferré en a bien conscience : "Quand vous êtes sous les feux des projecteurs, ça attire toujours la jalousie. Il y a peut-être une part d'incompréhension, les gens se disent : 'Aussi vite ? Aussi jeune ? C'est peut-être ce qui fait un peu grincer des dents. Après, quand ils viennent goûter, ça se passe bien et c'est plutôt chouette. Mais ça fait partie de la vie, c'est très humain, très français. Ce n'est pas quelque chose qui me refroidit et qui m'empêche d'avancer."
"Perdurer et s'inscrire dans le temps"
Avant d'avoir des rêves plus grands encore, sa priorité c'est de "se consacrer essentiellement au restaurant parce qu'il y a des gens qui font parfois 2 000 kilomètres pour venir. J'ai eu des gens du Bénin qui sont venus me voir, parce qu'ils avaient entendu parler de moi. Il y a des clients qui économisent pendant une année pour venir manger chez nous. Des rêves, il y en a plein, bien sûr comme peut-être un jour ouvrir mon affaire."
Fabien Ferré se concentre sur son envie permanente de "bien faire" car "il faut perdurer et il faut s'inscrire dans le temps. Il ne faut pas que ça devienne un coup de buzz, un coup d'éclat. Il faut qu'on montre à la France entière que ces trois étoiles, si elles sont là, ce n'est pas le fruit du hasard."
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