Ils ont fait l'actu. Maître Negar Haeri, avocate de la famille de Shaïna Hansye revient sur le procés de l'assassin de la victime agée de 15 ans
Le 10 juin 2023, la cour d'assises des mineurs de l'Oise rend son verdict après quatre heures de délibéré. L'ex-petit ami de Shaïna Hansye est condamné à 18 ans de prison pour l'avoir à Creil en 2019, poignardée, brûlée vive à quinze ans, alors qu'elle était probablement enceinte de lui. L'avocat général avait requis 30 ans de réclusion et demandé que l'excuse de minorité de l'agresseur, 17 ans au moment des faits, ne soit pas retenue pour "un crime prémédité à chaque étape", la cour ne l'a pas suivi et c'est ce qu'a déploré, révoltée, l'avocate de la famille de Shaïna, Maître Negar Haeri : "on a un criminel, on a un assassin, mais la justice n'a pas été à la hauteur du crime et la justice n'a pas été à la hauteur de la victime. Je pense que la justice se fout des violences faites aux femmes. Je pense que c'est ce que ça veut dire" dit-elle. À l'énoncé du verdict à huis clos, l'accusé a explosé de colère. Le frère de Shaïna, Yassin, qui porte la douleur immense de toute une famille du haut de ses 25 ans, a fait un malaise. Incompréhension aussi des parents de Shaïna, effondrés. Yassin résume les dernières années de sa sœur ainsi : "ma sœur Shaïna a été agressée sexuellement à treize ans, tabassée à quatorze ans et brûlée vive à quinze ans."
D’après l’avocate de la famille, "entre détention provisoire et remise de peine, celui qui l'a tuée sortira dans huit ans." Le 22 juin, Negar Haeri a déploré dans un communiqué que le parquet n'ait pas fait appel de cette peine, très inférieure aux 30 ans de réclusion qu'il avait requis. Et celle qui a repris les trois affaires dans ce dossier maintient aujourd'hui sa phrase : "la justice se fout de la violence faite aux femmes." dont elle s’explique quelques mois après. "ce n’est pas forcément mon vocabulaire, mais il m'arrive d’être grossière si j’estime que la situation l'exige. Je ne peux pas regretter ce que j'ai dit. On aurait pu imaginer qu'avec un tel hiatus, une telle différence de peine entre ce que l’avocat général avait demandé initialement et ce qui avait finalement prononcé, c'est à dire 18 ans, sans exclusion de l'excuse de minorité, il y aurait eu un appel et il n'y en a pas eu.
"Je regrette énormément cette décision, je trouve qu'elle manque de courage. Alors évidemment qu'il y a des magistrats qui sont remarquables, il y a des enquêteurs qui sont remarquables. Mais je dois dire que le traitement de ces trois affaires a été catastrophique."
Maître Negar Haerià franceinfo
"Je rêve de pouvoir tout étaler sur une table ronde, déclare Maître Negar Haeri, d'inviter des magistrats, d'inviter des avocats, de faire l'étude de ce dossier-là, la dissection de ce dossier, pour comprendre à rebours qu'elles ont été les erreurs des uns et des autres pour ne plus les commettre."
Cette phrase prononcée comme un cri de rage lui a valu des critiques de ses confrères du milieu des avocats. "J'ai eu quelques critiques mais surtout beaucoup de soutien, énormément de messages d'anonymes qui m'ont d'ailleurs étonnée parce que je ne pensais pas que cette déclaration aurait cet effet-là. Du côté des critiques, oui, j'en ai eu de certains confrères qui font du pénal et qui sont plutôt du côté de la défense. Pour moi, il y a une forme de snobisme, parfois de leur part et je lui dis d'autant plus volontiers que je fais moi même beaucoup de défense, qui consisterait à confisquer la critique de la justice aux avocats qui sont du côté des parties civiles, c'est à dire du côté du sens du courant, en fait, du côté facile", assume Maître Negar Haeri.
"Un sentiment d'inachevé" avec le procès
L'avocate a été témoin des conséquences psychologiques et physiques pour la famille de Shaïna. Toutes ces années à essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Elle estime que "rien ne leur a été épargné." Pour elle, "il y a un sentiment d'inachevé dans cette affaire. La famille, ainsi n'a jamais pu voir le corps de Shaina parce qu'à l'époque, le procureur de la République les en avait dissuadés parce qu'il était dans un état qui ne ressemblait plus à un état humain. En fait, ils n'ont jamais pu véritablement faire le deuil de leur fille. Ils attendaient ce procès pour assassinat comme le messie. Quelque chose a manqué, Quelque chose a raté pendant l'audience" , dit Maître Negar Haeri.
Au-delà du verdict, la question que l’avocate soulève c'est le débat sur le traitement judiciaire des affaires de violences faites aux femmes. "Je constate que des efforts sont faits, c'est à dire qu'on innove avec de nouvelles lois, de nouvelles réglementations pour faciliter les dépôts de plainte, faciliter les éloignements dans les couples dysfonctionnels et violents. Mais ma critique vise quelque chose de beaucoup plus nuancé. C'est à dire le regard qu'on porte à ces affaires. Cette matière-là reste aujourd'hui subsidiaire parce que, pour une raison qui m'échappe, on ne donne pas encore à ces affaires là la gravité qu'elles ont. C'est une matière qui n'intéresse pas autant que d'autres matières peuvent intéresser. Je pense au terrorisme, aux affaires d'hommes, le grand banditisme ou les grosses affaires où il y a des avocats mâles qui gèrent les crimes, les affaires de stups, les affaires de braquage. Dans ces affaires-là, en fait, il y a un sérieux que nous, nous n'avons pas encore dans les affaires de violences faites aux femmes. Donc oui, quand je pense à tout ça et quand je pense à mon affaire, c'est à dire l'affaire Shaïna, aux trois volets de ce dossier, il me semble que la justice s’est foutue d'elle." concède Maître Negar Haeri.
Negar Haeri projette d'écrire un essai pour dénoncer, dit-elle, les dysfonctionnements de l'affaire et réhabiliter la parole de Shaïna.
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