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"Soumission" : Houellebecq au bout de la déprime

C'est bien plus que le 6ème roman de Michel Houellebecq qui sort en librairie mercredi. "Soumission" chez Flammarion, c'est déjà le sujet polémique de cette rentrée 2015. Parce qu’il se livre à un périlleux exercice de politique fiction où un parti islamique arrive au pouvoir en France en 2022, certains crient à l'islamophobie, d'autres à la clairvoyance, on n'a pas fini d'en parler
Article rédigé par Anne Chépeau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (Michel Houellebecq lors d'une séance photo en Espagne en avril 2014 © Maxppp)

C’est une farce triste, moins drôle que les précédents romans et pas forcément aussi fulgurante qu' "extension du domaine de la lutte" par exemple. Nous sommes donc en 2022, François Hollande a miraculeusement été réélu en 2017 et pour empêcher l'accession au pouvoir de Marine Le Pen, dans une social-démocratie agonisante, le PS et l'UMP soutiennent Mohamed Ben Abbes et son parti de la fraternité musulmane. L'homme est fin politique, le plus brillant depuis François Mitterrand précise le narrateur et il est malin: pas de charia, mais bon, quand même, les femmes sont voilées, elles rentrent à la maison ce qui fait dégringoler le chômage et l'argent des pétrodollars du golfe coule à flot, finalement les français s'accommodent.

Le personnage central, double de l’auteur, c’est François, universitaire dépressif, voire suicidaire, asocial, adepte des amours tarifées et des plats micro-ondables, gros fumeur et buveur et quand le drapeau vert flotte sur la Sorbonne, on le pousse vers la sortie. La seule femme avec laquelle il aurait pu avoir une vraie histoire, car n'oublions pas que Houellebecq est un sentimental, Myriam est juive, elle a peur et quitte la France pour Israël, François est plus seul que jamais. Son seul ami c'est un écrivain mort, il 'y a plus d'un siècle, Joris Karl Huysmans, dont il est le grand spécialiste en France; Huysmans, pour faire simple, fin du 19ème, romancier passé du naturalisme à la Zola à un fervent catholicisme, François va sur ses traces, se pose la question de la religion mais finalement il ne sent pas vibrer en lui la foi.

Pourtant, il va finalement basculer vers la "soumission"

Et c'est tout le cheminement terriblement cynique de ce personnage, qui finit par accepter de revenir à l'université, condition il doit se convertir à l'Islam, pour les honneurs et surtout pour la polygamie, qu'on lui promet avec un gros salaire. Libre au lecteur de le lire au premier ou au 12ème degré Houellebecq est un pas de côté, il observe l'époque, l'extrapole et son talent littéraire c'est dans un style fluide et souvent drôle de partir des détails. Dans "soumission" il y'a deux grands moments, sous forme de monologues de personnages secondaires: un chef des services secrets qui annonce sans crainte l'avènement du nouvel empire romain, qui va enterrer l'Europe humaniste décadente pour la décentrer plus au sud avec l'islam en étendard et celui encore plus cynique du président d'université sur le bonheur de la soumission. Houellebecq sait parfaitement écrire ces textes fulgurants et souvent drôles, mais là, il y'a un malaise. Une certaine vacuité du propos. A quoi bon opposer sans arguments pertinents la philosophie des lumières, l'occident laïc et humaniste aux religions? C'est vide de sens, la seule chose qui surnage c'est une aversion fourre-tout de, "la bien pensance", l'humanisme, l'universalisme, comme si la question de l'individu ne traversait pas les religions, avant même le 18ème siècle français d'ailleurs. Sans dire que Houellebecq adhère totalement à son personnage, il est assez malin pour rester à distance, ce roman est plus sec et triste que brillant et drôle.

Les commentaires sont déjà très nombreux, le clivage est net, ça va de livre islamophobe à acte courageux

Il y'a d'abord les amoureux déçus, voire trompés, comme Sylvain Bourmeaux, journaliste à France Culture, qui publie sur son blog un long entretien avec Michel Houellebecq où les deux se disputent sans se convaincre, on sent la déception et Bourmeaux parle même de suicide littéraire.. dire que le livre est décevant aurait peut-être suffi... Laurent Joffrin dans libération lui estime que Houellebecq fait entrer Marine Le Pen au café de Flore, pas moins, tandis qu'Alain Finkelkraut, jubile, le philosophe estime que l'avenir décrit dans "soumission" est plausible même s'il n'est pas certain! Enfin Jérôme Béglé dans le point devient lyrique "ce n'est pas un brûlot anti-musulman, c'est pire que ça, une théorie convaincante et inspirée sur la fin de notre civilisation européenne". Et là, on se dit que Michel Houellebecq se marre, dans son roman il est sans pitié pour les intellectuels et les journalistes, qui en réagissant ainsi, lui donnent raison mais le ridicule ne tue pas. Ce livre ne mérite pas un tel débat, ce qui est troublant c'est de constater que le personnage que Houellebecq s'est construit, très français en fait de dandy -beauf penche plus vers le beauf dans ce roman que vers le dandy.

  ("Soumission" de Michel Houellebecq © Flammarion)
 

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