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Julien Goudichaud, réalisateur des "Plages de l’Embarquement" : "Le système des passeurs dans le Nord-Pas-de-Calais est pyramidal"

Dans le documentaire "Les Plages de l'embarquement", diffusé dans "Envoyé Spécial" sur France 2, le journaliste Julien Goudichaud montre les rouages mafieux du passage des candidats à l’exil par voie maritime vers le sol britannique.
Article rédigé par Laurent Valière
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le journaliste Julien Goudichaud, réalisateur du film "Les plages de l'embarquement". (franceinfo)

Nommé au Prix-Albert-Londres cette année pour son livre Les Plages de l'embarquement aux éditions les Arènes, le journaliste Julien Goudichaud propose, jeudi 2 novembre à 21h10 dans "Envoyé spécial" sur France 2, la version documentaire de son ouvrage. Il débute sur les plages de Boulogne-sur-Mer, à 30 kilomètres de Calais. On voit 50 migrants, les pieds dans l'eau, qui montent dans un bateau Zodiac pneumatique de quatre mètres de longueur, conçu pour moitié moins de personnes. Debout sur les rebords du bateau, des hommes rejettent sans ménagement certains qui devront attendre le prochain Zodiac.

franceinfo : Vous avez passé sept ans à arpenter cette région pour rencontrer migrants, rabatteurs et passeurs. Comment est née cette envie de raconter cela ?

Julien Goudichaud : Je me suis rendu en 2015, un peu par hasard et par curiosité, dans le Pas-de-Calais, pour découvrir cette frontière franco-britannique. J'ai été complètement happé lorsque j'ai découvert ce qui se passait là-bas. J'ai vu des hommes d'une vingtaine d'années qui escaladaient des barrières de quatre mètres de haut pour attraper un train en marche, avant de s'engouffrer dans un tunnel pour arriver en Angleterre. Et je crois que je n'ai jamais réussi à me défaire de cette zone. Je savais qu'un jour, les passages maritimes seraient empruntés et quand j'ai vu le phénomène apparaître, je suis resté.

À l'époque, les migrants empruntaient les camions et puis, en l'espace de cinq ans, on est passé de 450 à 45 000 personnes qui tentent, par exemple l'an dernier, de passer en Angleterre grâce à des bateaux. Pourquoi cette explosion ?

Ça a commencé par des groupes d'Iraniens qui ont acheté des bateaux sur Internet. Ils se cotisaient et achetaient des petits bateaux d'occasion avec un moteur. C'était très difficile de réunir les fonds et de ramener le matériel. Et puis les premiers bateaux sont passés. 

"Et quand les premiers bateaux sont passés, l'idée que c’était possible a germé et ça a été l'explosion. Tout le monde n’a voulu tenter que le passage maritime"

Julien Goudichaud, journaliste

à franceinfo

À partir de là, les mafias se sont penchées dessus et un business est né.

Vous parlez de mafia. Racontez-nous ces différentes strates du donneur d'ordre qui n'est probablement pas en France jusqu'à ces hommes qui sont debout sur les rebords du bateau ?

C'est très pyramidal et hiérarchique. Il y a les petites mains qui sont recrutées dans les camps et qui travaillent eux-mêmes pour pouvoir avoir un passage gratuit en Angleterre. Il y a des recruteurs de passagers qui sont aussi des migrants ou des personnes un tout petit peu éloignées du camp et enfin des donneurs d’ordre, basés probablement à l’étranger. Chaque plage du Pas-de-Calais est gardée par un clan qui a une structure pyramidale. Il y a des guerres de territoires pour garder une plage, la plage de Wimereux appartient à tel clan, la plage de Leffrinckoucke à tel autre, etc.

Vous évoquez aussi le taxi-boat, une méthode qui permet de faire en sorte que la police des frontières ne puisse pas intervenir ?

Les passeurs essaient toujours d'avoir un coup d'avance sur la police. Aujourd'hui, la police arrête les bateaux qui entrent dans l'eau, elle tente d'intercepter ces bateaux pour pouvoir les crever et les mettre hors d'usage. Les passeurs se sont donc dit qu'ils arriveraient par la mer pour récupérer les migrants en bord de plage parce que la police n'a pas le droit de crever un bateau une fois qu'il est dans l'eau. Cela représenterait trop de danger, les personnes pouvant tomber dans l'eau et se noyer. Ils préparent alors le bateau à dix kilomètres ou 15 kilomètres de là avec deux trois personnes, puis le bateau arrive par la mer et les migrants, courent sur la plage, rentrent dans l'eau et montent dans le bateau. À ce moment-là, la police est un petit peu aux fraises.

Vous avez vous-même fait la traversée vers l'Angleterre avec des migrants. Combien de temps a-t-elle duré ?

On a mis entre cinq et six heures pour atteindre les eaux anglaises, la frontière maritime, pas la terre ferme.

Votre documentaire se termine sur la récente politique britannique qui menace presque les migrants d'être renvoyés au Rwanda. Il y a de vraies conséquences sur les migrants que vous avez rencontrés ?

C'est une aberration quand on imagine pouvoir peut-être être renvoyé au Rwanda, et être parqué dans des containers. Évidemment, les demandeurs d'asile au Royaume-Uni, eux, patientent toute la journée dans leur chambre et regardent les informations. Quand on leur dit : "Peut-être que demain, vous allez être envoyés là-bas, en Afrique", il y a une peur qui germe. Il y a aussi, pour certains, un mal du pays. Ils ne trouvent pas leurs marques et ils se demandent s'ils ne seraient pas "plutôt plus à l'abri dans l'Union européenne ?" Donc, certains font le chemin inverse. Il y a même des filières de passeurs qui se sont ouvertes pour pouvoir ramener des exilés qui aimeraient être dans l'Union européenne.

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