"Kim Kardashian a donné un contenu politique à sa célébrité" : Arte TV se penche sur la star des réseaux sociaux

Icône de mode, actrice de téléréalité, influenceuse, le documentaire "Kim Kardashian Theory" de Guillaume Erner et Nesrine Slaoui permet d'évoquer toutes les facettes de la star des réseaux sociaux, suivie par 365 millions de personnes sur Instagram.
Article rédigé par Cyril Destracque
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les journalistes Nesrine Slaoui et Guillaume Erner ((RADIOFRANCE / FRANCEINFO))

Guillaume Erner et Nesrine Slaoui, sont respectivement l’auteur et la réalisatrice de : "Kim Kardashian Theory", un documentaire de 52 minutes disponible sur Arte TV. Qui est vraiment Kim Kardashian ? Que représente cette femme devenue une icône, un objet de désir comme de détestation ? Quel est son avenir ? Issue de la diaspora arménienne ayant évolué dans la bonne société américaine, elle a été une des pionnières de ce que l’on appelle désormais les influenceurs en utilisant, outre la chirurgie ou la téléréalité, les réseaux sociaux transformés, depuis quelques années, en un véritable business. Suivie par 365 millions de personnes sur Instagram, qu’on la déteste ou qu’on l’aime, finalement, elle ne laisse personne indifférent. 

franceinfo : Kim Kardashian pour les néophytes, c'est avant tout une femme qui a un peu usé voire abusé de la chirurgie esthétique. 

Nesrine Slaoui : Elle s'est fait possiblement agrandir le regard, redresser la queue du sourcil pour donner un regard très enjôleur, ce qu'on appelle le 'Fox Eyes' ou le 'Cat Eyes'. Ensuite, elle s'est fait rétrécir et raccourcir le nez, injecter les pommettes pour qu'elles soient plus hautes plus saillantes. Elle a sculpté complètement la ligne de l'ovale. Ensuite, elle a eu des injections, bien sûr, dans les lèvres. 

Kim Kardashian, explique Linh Pham, la journaliste fondatrice du site "Le journal de mon corps" a fait ce qu'elle appelle un upcycling de son corps. La résumer à son corps, c'est tout de même très réducteur. 

Nesrine Slaoui : Ça peut aussi vite devenir sexiste. C'est tout le paradoxe de ces superstars. C'est qu'elles sont à la fois des sex-symbols, ce qu'on appelle aussi des bimbos, c'est-à-dire des femmes qui ont joué de leur esthétique, qui se sont amusées avec des injections et de multiples opérations, mais qui sont au-delà de ça, plein de choses très intéressantes qu'on a essayé d'analyser avec Guillaume, avec le prisme aussi de la sociologie. Le but, c'était aussi de la prendre en dehors de son corps et en même temps d'analyser ce que son corps représente dans la société. 

Dans le documentaire, on voit toutes les facettes de Kim Kardashian. Une icône de mode, une actrice de téléréalité, je pense à la fameuse saga familiale "Les Kardashian", une femme d'affaires aussi, et peut-être une future avocate. Quelle est la facette qui vous a le plus interpellé ? 

Guillaume Erner : Probablement le fait qu'elle est née sur Internet, et même plus précisément sur Instagram. C'est vraiment ce que j'ai appris grâce à Nesrine. C'est une femme qui incarne une génération nouvelle de people puisque la célébrité est un concept ancien. En revanche, ce qui est nouveau, c'est qu'avec elle, la célébrité se joue sur les réseaux sociaux et elle n'est plus en concurrence avec Hollywood. Elle mène une existence complètement parallèle. "Kim Kardashian n'a pas besoin d'Hollywood, alors elle peut le rejoindre symboliquement, mais sa vie sur Snapchat, Instagram et consorts lui suffit tout à fait. 

Elle a 365 millions de followers sur Instagram, est-ce que cela en fait forcément une femme influente ? 

Nesrine Slaoui : Oui, forcément. Et puis j'aime bien la phrase de Sam Rivière qui intervient dans le documentaire qui dit : "C'est beaucoup plus d'habitants qu'il y en avait dans l'Empire romain".Elle a traversé toutes les cultures et chaque culture s'est approprié d'une certaine façon Kim Kardashian. Comme elle-même, elle s'est approprié toutes les cultures. C'est la fascination assez étrange qu'on peut avoir pour cette femme-là et c'est surtout la manière dont elle influence aussi plus largement la création d'un métier qu'on appelle 'influenceur' aujourd'hui. Kim Kardashian est une des premières ou la première à avoir créé ce métier d’influenceur, elle a utilisé les réseaux sociaux pour faire de la promotion de produits, des partenariats et elle s'enrichit comme ça, en parallèle de sa téléréalité. 

Au début du documentaire, Guillaume Erner, vous dites ne rien savoir et ne pas comprendre comment une femme qui, je vous cite, "Ne fait rien puisse être aussi puissante". On apprend qu’elle milite pour l'amélioration de l'état des prisons aux États-Unis. Une facette qu'on ne connaît pas beaucoup.  Au final, qu'en retenez-vous ?  

Guillaume Erner : Oui. Elle a donné un contenu politique à sa célébrité. Ça fait partie aussi des passages obligés pour les célébrités aux États-Unis. Si vous atteignez un certain stade de célébrité, vous avez forcément un engagement. Mais je pense que c'est un engagement sincère dans son cas à elle. Ça signifie aussi que là, on est vraiment sur un phénomène qui est absolument inédit parce que des people, c'est-à-dire des gens qui ne sont connus que pour leur célébrité, il y en a eu d'autres jadis, 

"Des femmes qui arrivent à contenir les deux bouts, c'est-à-dire à la fois cette célébrité de people, sans contenu, parce qu'elle n'est ni chanteuse, ni actrice, ni rien de spécifique jusqu'à avoir un rôle politique, ça, c'est quelque chose a priori de complètement inédit."

Guillaume Erner, auteur du documentaire "Kim Kardashian Theory"

à franceinfo

Elle a parfois dérapé, mais elle s'en est toujours bien sortie, elle a toujours rebondi. On peut citer l'exemple de la sextape. Qu'est-ce qui fait qu'elle arrive à chaque fois à tirer profit de ces situations et de ces dérapages ? 

Nesrine Slaoui : Je pense qu'initialement, elle oublie beaucoup ses privilèges. C'est pour ça qu'elle "dérape". Elle oublie la condition sociale dans laquelle elle a grandi, qui en fait d'elle de toute façon quelqu'un de privilégiée, même s'il y a encore une fois, elle a un héritage arménien, elle est aussi très engagée pour la dénonciation du génocide. Mais, c'est vrai qu'elle a tendance à oublier qu'elle fait partie de la société américaine plutôt privilégiée qui a eu accès à de l'argent, en tout cas à un milieu social et culturel assez aisé, comme l'explique Guillaume Erner dans le documentaire. 

"Kim Kardashian a su très vite comprendre que les réseaux sociaux ne sont que polémiques. En fait, les réseaux sociaux, qu'on parle de vous en bien ou en mal, dans tous les cas, on parle de vous et ça marche pour vous." Et c'est là l'essentiel ? 

Nasrine Slaoui : C'est ça. Elle a bien compris ça. C'est devenu un mème récurrent avec sa téléréalité. Elle a fini par surjouer elle-même, je pense, son personnage et la caricature parce que c'est un peu comme Nabila en France, on a toujours tendance à considérer que les femmes de téléréalité sont un peu bêtes. Mais en réalité elles ne sont pas si bêtes que ça, parce que pour arriver à construire des carrières entières sur des stratégies de communication. On ne sait pas réellement si c'est la famille qui a organisé la fuite de cette vidéo ou si c'est un vol, mais c'est assez fascinant de voir comment d'une humiliation publique, elle en fait une carrière et une manière aussi de se poser en icône qui refuse l'humiliation et donc qui permet aux femmes de se libérer aussi en réalité des injonctions sexuelles. 

Quelle leçon tirez-vous finalement de ce documentaire ? 

Guillaume Erner : Tout est possible et je crois que c'est vraiment la morale de vie de cette femme. C'est aussi une morale très inspirée de l'histoire américaine, puisque c'est aussi tout à fait édifiant de voir dans quelle mesure cette femme incarne une étape supplémentaire dans l'histoire de la célébrité, qui est quand même très liée à l'histoire des États-Unis. Les gens sont assez fascinés, y compris ceux qui ont des sentiments mêlés à son endroit parce qu'ils voient finalement que cette femme montre que tout est imaginable et qu'on peut vraiment fabriquer son soi à un niveau qui est un niveau complètement inédit jusqu'à, pourquoi pas, une candidature politique, en tout cas, un rôle politique. Elle en a déjà incontestablement.

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