Anton Brender (Université Paris-Dauphine) : "L’économie américaine ne produit plus de progrès social"
L'économiste Anton Brender, invité de l'interview éco de franceinfo, mercredi a affirmé que l'économie américaine "restera encore pendant un petit moment" l'économie du monde la plus puissante.
L'économiste Anton Brender, qui publie un livre intitulé "L'économie américaine", était l'invité de l'interview éco de franceinfo mercredi 21 février. Une sorte de leçon d'histoire pour mieux comprendre où en est l'économie américaine et son impact sur l'Europe.
franceinfo : On présente l'économie américaine comme le moteur mondial. Cette économie est-elle vraiment aussi puissante ?
Anton Brender : Je crois qu'il n'y a aucun doute. L'économie américaine est la plus puissante des économies de notre planète et elle le restera encore pendant un petit moment. Maintenant, derrière cette puissance, il y a un premier paradoxe. D'un côté il y a une économie qui est extrêmement efficace, productive, qui n'a pas arrêté de croître depuis 70 ans. Et depuis maintenant pratiquement 40 ans, dans cette économie il y a une moitié des emplois qui n'ont pas vu leurs salaires progresser alors même que la productivité a continué d'augmenter. Le niveau de vie de presque la moitié de la population américaine -si l'on veut simplifier- a à peine progressé. Il y a vraiment une panne du progrès social.
Peut-on dire que l'économie américaine est victime du libéralisme ou qu'elle en est le fruit finalement ?
C'est difficile de dire qu'elle en est victime, je dirai plutôt effectivement qu'elle en est le fruit. Son dynamisme passé, elle le doit au libéralisme qui a été la marque de l'économie américaine pratiquement depuis sa naissance. Le problème, c'est que l'économie américaine montre aussi les limites du libéralisme. Aujourd'hui, on vit dans des économies où l'échange international a pris une place prépondérante. Les États-Unis sont ouverts, le progrès technique est continu, renouvelé, se déplace d'un secteur à l'autre, où la consommation se transforme, et ça, le libéralisme caractéristique des Américains n'a pas permis d'y faire suffisamment face.
L'économie américaine est dite "de plein emploi". Mais il y a un mécanisme assez paradoxal : un pays en plein emploi ne peut plus pratiquement créer de croissance. Comment est-ce possible ?
Il faut comprendre que le plein emploi est la clé de l'équilibre social aux États-Unis. Il y a très peu d'aides aux gens qui perdent leur emploi. Si on ne veut pas que ces gens-là vivent dans une misère chronique, il faut absolument qu'ils trouvent des emplois et pour qu'ils les trouvent il faut qu'on soit au plein emploi. La reprise actuelle est la plus faible de l'après-guerre. Il a fallu 10 ans pour que l'économie américaine revienne au plein emploi et on commence seulement à voir une partie des salaires les plus bas commencer à augmenter.
Donald Trump n'est-il pas en train de mettre volontairement en place une politique économique non-coopérative qui vise directement à affaiblir l'Europe ?
Le point de départ, c'est effectivement le diagnostic que fait Donald Trump et que la population américaine a fait : c'est que l'échange inernational, l'ouverture sur l'extérieur est une des causes des difficultés de l'économie américaine. D'où l'idée de se fermer plus, de se protéger, et effectivement si une économie se protège ca pose des problèmes à ceux contre lesquels elle se protège. Ça posera des problèmes, ça a commencé à poser des problèmes. Il ne faut pas non plus les exagérer (...). Je pense que l'Europe a intérêt à tirer des leçons de ce qui s'est passé aux États-Unis : du fait que le libéralisme à lui seul ne permet pas de résoudre les problèmes auxquels les grandes économies occidentales sont aujourd'hui confrontées. Le libre-échange, le progrès technique demande une intervention publique extrêmement vigilante.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.