Budget santé : "Il n'y a pas de dérapage" sur les dépenses de médicaments, affirme le syndicat des entreprises pharmaceutiques
La ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq a annoncé que le taux de remboursement des médicaments, par la Sécurité Sociale, allait baisser de 5% dès 2025. L’objectif est de rattraper le dérapage des dépenses de médicaments, évalué à 1,2 milliard d'euros en 2024 par la ministre de la Santé, alors que le budget de la Sécurité sociale commence tout juste à être examiné devant le Sénat.
Laurence Peyraut, directrice générale du LEEM, le syndicat professionnel des entreprises du médicament, qui représente l'industrie pharmaceutique en France, est l'invitée éco de franceinfo mardi 19 novembre.
franceinfo : Cette annonce du gouvernement va-t-elle inciter les fabricants de médicaments à baisser leurs prix ?
Laurence Peyraut : Ce budget de la Sécurité sociale, c'est en réalité notre budget pour le traitement des patients en France. Je ne vous cache pas qu'à l'heure actuelle, nous sommes extrêmement préoccupés. Il y a moins de quatre jours, on nous annonce qu'il y aurait un dérapage qui conduirait à prendre des mesures, dont celle que vous mentionnez, sur le médicament.
Effectivement, la ministre de la Santé justifie les annonces en disant qu'il y a eu un dérapage de l'ordre d'1,2 milliard d'euros. Elle vous rend responsable de ce trou parce que selon le ministère de la Santé, vous n'avez pas effectué de remise, sorte de ristourne accordée à l'État. Vous le contestez ?
Il y a quatre jours, on apprend qu'il y a un dérapage : 1,2 milliard. C'est un énorme dérapage que nous ne reconnaissons absolument pas dans les chiffres que nous mesurons chaque mois avec nos entreprises. On ne l'a pas vu et on ne le voit pas. Nous discutons chaque jour avec nos entreprises pour regarder au plus près des provisions que nous faisons.
"Nous ne constatons pas de dérapage ce soir, au moment où je vous parle."
Laurence Peyrautsur franceinfo
Donc vous êtes étonnée par le chiffre annoncé par le ministère de la Santé ?
Absolument. Comment un chiffre d'1,2 milliard peut sortir à ce moment-là de l'année ? Nous sommes une économie régulée, nous discutons chaque mois avec l'administration. Nous les avons rencontrés en juillet, en septembre, en octobre, il n'y avait aucun dérapage, voire il y avait une maîtrise sur le budget du médicament.
Donc, ce que vous dites, c'est qu'il n'y a pas de dérapage concernant les dépenses de médicaments en France ?
On ne le constate absolument pas. Nous avons réussi, après avoir réclamé tout le week-end, à avoir accès hier aux chiffres annoncés, sur des baisses de remises, des écarts de remises, voire des écarts de prévision.
Dans ce système un peu complexe, le secteur du médicament doit en effet accorder des remises à l'État. Il estime que certaines remises n'auraient pas été effectuées et c'est ce manque à gagner qu'il estime à 1,2 milliard d'euros aujourd'hui.
Mais si on ne fait pas de remise, ça ne veut dire qu'il n'y a pas de croissance de la dépense puisque ces remises sont justement liées à de la dépense, donc il n'y a pas de dérapage. Donc on ne comprend pas en fait ce qui se passe.
Avez-vous une explication depuis ces quatre jours ?
Les explications qui nous ont été données hier sont très incertaines. D'ailleurs, sur l'ensemble des explications, il y avait marqué "niveau d'incertitude".
"Donc finalement, ce que l'on demande, c'est regarder d'urgence ces chiffres et, en responsabilité, les comprendre avec l'administration."
Laurence Peyrautsur franceinfo
Voyez-vous un dérapage de votre côté ? S'il n'est pas d'1,2 milliard, de combien serait-il ?
Il n'y a pas de dérapage, au moment où nous nous parlons. Ce que l'on demande au gouvernement, c'est de se poser, car au moment où nous discutons, il y a le Sénat à qui on va produire un texte sur lequel il va voter.
Et auquel on demande de faire un texte dans lequel est prévu un taux de remboursement abaissé de 5 %.
Notamment, parce qu'il y a ce taux de baisse de remboursement, donc, qui va peser sur les Français. Mais il y aura aussi une augmentation de la taxe spécifique de la pharmacie et qui va peser très lourdement.
En effet, une taxe est prévue sur votre secteur qui s'appelle une clause de sauvegarde. Vous aviez obtenu un plafonnement de cette taxe à 1,6 milliard. C'est ce que vous avez payé en 2023, et vous dites : "C'est déjà énorme, on ne devrait pas aller au-delà". Qu'en est-il aujourd'hui ?
Concrètement, les entreprises paient des taxes, c'est la taxation générale. Et la pharma a une taxe supplémentaire qui est aujourd'hui à 1,6 milliard. Il faut que vos auditeurs comprennent que cette taxe est la taxe la plus importante en Europe. On a un effet ciseau, les prix les plus bas d'Europe et la taxe la plus haute d'Europe. Donc nous avions eu des engagements des trois derniers ministres concernés pour plafonner cette taxe à 1,6 milliard. Mais mieux, nous avions un engagement de notre ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, à faire baisser cette clause de sauvegarde, dans un rapport interministériel. Ce n'est pas uniquement nous, les entreprises du médicament, qui avons posé ce constat qu'il faut refonder cette politique du médicament. Pourquoi ? Parce que les Français ont besoin d'avoir accès à leurs traitements.
Ce que ça veut dire, c'est qu'aujourd'hui, vous pensez que vous allez payer une taxe encore plus importante que ce 1,6 milliard.
S'il y a ce dérapage, que nous constatons pas, alors il va y avoir des mesures pour pénaliser encore plus les entreprises. Et là, on le conteste puisque nous ne voyons pas ce dérapage.
Mais si dérapage il y a, même s'il est moins important que 1,2 milliard, que préconisez-vous, vous, les industriels du médicament, pour faire baisser la dépense de médicaments ?
Depuis plusieurs mois, nous avons sur la table des négociations des mesures d'économie. Et d'ailleurs, nous avons déjà anticipé puisque nous avons lancé il y a quelques mois maintenant une grande campagne à destination des Français pour réduire la consommation de médicaments. Cette campagne s'appelle "Réduisons le volume" et vise notamment pour les personnes âgées.
Ça passe par quoi, moins de prescriptions ?
C'est moins de prescriptions, moins de consommation. Si je prends un exemple sur les personnes âgées de plus de 65 ans, elles consomment plus de neuf médicaments par jour. On sait qu'au-delà de cinq, il peut y avoir des effets délétères. Donc, nous encourageons les Français à aller revoir leur médecin. Et nous encourageons également les médecins à moins prescrire. Pour cela, on a fait ce qu'on appelle un logiciel d'aide à la prescription.
Pour l'instant, ce qui est sur la table, c'est un taux de remboursement abaissé de 5%.
Qui n'a pas été négocié...
Mais qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Le prix du médicament va baisser ? Vous qui allez baisser le prix du médicament ? La mutuelle va-t-elle le prendre en charge ? Que va-t-il se passer concrètement ?
Nous, ce que l'on dit, c'est qu'il faut absolument travailler en co-construction avec les acteurs qui sont concernés. On ne peut pas apprendre par la presse la semaine dernière, hier par la presse à nouveau, qu'on va faire des mesures d'économie sur les Français.
Sauf, si vous baissez le prix des médicaments.
Sauf si on baisse le prix des médicaments.
Les prix en France sont les prix les moins chers en Europe, ils sont déjà extrêmement bas.
Laurence Peyrautsur franceinfo
La fiscalité la plus haute, les prix les plus bas. Nous devons sécuriser deux choses essentielles : l'innovation et l'attractivité de la France pour l'innovation. Et nous devons aussi nous battre pour la relocalisation, la production en Europe et en France.
Vous dites que si l'industrie du médicament est davantage taxée, ça peut inciter les fabricants de médicaments à quitter la France. On a vu que Doliprane était vendu à un fonds d'investissement américain. Ça ne veut pas dire que la production de Doliprane demain va partir, mais vous dites le signal est mauvais aujourd'hui ?
Il faut un signal qui donne envie à toutes les entreprises du monde entier de choisir la France. C'est pour ça qu'on a d'ailleurs un très joli événement Choose France où les entreprises s'engagent. On a besoin d'une souveraineté au niveau européen pour qu'elle attire des capitaux, pour que ces capitaux soient au service de l'innovation et de la production, pour que les Français aient accès à leurs traitements. C'est notre obsession tous les jours.
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