COP29 : "Les citoyens doivent comprendre que chaque fois qu'ils émettent une tonne de CO2, ils sont responsables de plusieurs milliers d'euros de dommages", dit un économiste

"Tant que le citoyen n'a pas compris ça, il ne votera pas pour des politiciens qui mettront en place des stratégies et des sacrifices portés par les citoyens", se désole Christian Gollier, économiste du climat, en pointant l'élection du climatosceptique Donald Trump.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Christian Gollier, économiste du climat et coauteur des rapports du GIEC en 2007 et 2013. (RADIO FRANCE)

La COP 29 s'est ouverte lundi 11 novembre à Bakou en Azerbaïdjan, avec une liste d'absents longue comme le bras, à commencer par les présidents français et américains, le chancelier allemand et le Premier ministre canadien. En toile de fond de cette COP 29, le climatosceptique Donald Trump a été réélu, alors qu'il avait lors de son premier mandat fait sortir les États-Unis des accords de Paris.

Christian Gollier est économiste du climat, coauteur des rapports du GIEC en 2007 et 2013 est aussi à la tête de la Toulouse School of Economics. Il appelle les citoyens à comprendre que se préoccuper du climat consiste en de vrais sacrifices.

franceinfo : Est-ce qu'il faut craindre que les ambitions climatiques mondiales soient réduites à néant par la victoire de Donald Trump ?

Christian Gollier : L'arrivée de Trump va rendre l'ambition américaine beaucoup plus réduite qu'elle ne l'était sous l'administration précédente. Mais en plus, elle va engager un processus qui peut être très destructeur, parce que si les Américains ne décarbonent pas, les autres vont se dire : 'mais pourquoi je vais faire des efforts pour le bénéfice de gens qui, eux-mêmes, refusent de contribuer à l'effort collectif ?'

"Il faut bien comprendre que la guerre mondiale contre le changement climatique nécessite une mobilisation générale de tous les pays, de tous les citoyens de cette planète."

Christian Gollier, économiste du climat

à franceinfo

Et effectivement, la défection des États-Unis peut être le départ d'un nouvel échec, comme on l'a connu avec les accords de Kyoto, quand les Américains ne ratifient pas le projet, et qu'ensuite les Européens et les Japonais décident, eux aussi, de laisser tomber parce que les Américains laissent tomber.

Donc si Trump met sa menace à exécution, en sortant des accords de Paris, que va-t-il se passer ?

Mais je crains que si on ne crée pas une coalition des pays qui restent ambitieux sur le climat, il va y avoir un délitement comme on l'a connu avec le protocole de Kyoto.

Ça signifie qu'il n'y aura plus d'ambition mondiale de réduire la température de 1,5 degré ?

Pendant quatre longues années, nous allons devoir souffrir d'un pays leader mondial, qui a construit un système mondial organisé autour de la coopération, et on va transformer cet ordre mondial en un autre ordre chaotique, dans lequel on va être dans le chacun pour soi et tous contre tous.

Les ambitions énergétiques de Trump soulèvent également une question. Il veut reprendre la fracturation hydraulique. Qu'est-ce que ça peut avoir comme conséquence ?

En reprenant les forages, les Américains vont extraire encore plus de pétrole, de gaz de schiste, ils vont encore plus réduire le prix de l'essence et du gaz naturel aux États-Unis, ils vont être encore plus compétitifs par rapport à l'Europe. Et donc, si l'Europe persiste dans son ambition de pénaliser les industries les plus carbonées, on risque d'avoir une situation où simplement, on va déplacer la production la plus carbonée vers les États-Unis et vers la Chine. 

"Une désindustrialisation de l'Europe aura un bénéfice écologique nul si on déplace simplement la production vers des pays qui sont moins disant sur le changement climatique."

Christian Gollier, économiste du climat

à franceinfo

Avec des conséquences sur le réchauffement climatique.

Exactement. Donc là, on n'est plus dans un schéma à 1,5 degré, ni à 2, ni même à 3 degrés. On pourrait être à 4 ou 5 degrés, si vraiment, on ne parvient pas à maintenir une cohésion des pays qui sont ambitieux sur le climat.

Faire baisser le prix de l'énergie serait une bonne nouvelle pour le prix de l'énergie et une mauvaise nouvelle pour le climat.

On voudrait que ce soit le prix des énergies décarbonées qui baissent ! Là, le prix de l'essence à la pompe est de 0,89 euro aux États-Unis, donc on est déjà très bas. Et la baisse du prix d'énergie qui résulte de plus de production aux États-Unis, c'est une très mauvaise nouvelle.

Mais rien ne dit qu'on ne produira pas plus, en parallèle, d'énergie décarbonée, solaire notamment. Personne ne dit que la politique menée par Joe Biden, avec l'IRA et son ambition autour des énergies propres, prendra fin avec Trump. C'est une politique qui marche notamment dans des États républicains comme le Texas.

Mais si le prix des énergies fossiles baisse, la profitabilité des énergies renouvelables est plus problématique. On le voit depuis quelques années.

"La baisse des prix du gaz naturel, du pétrole et du charbon implique que les industriels qui misent sur le vert vont être en difficulté."

Christian Gollier

à franceinfo

À la COP 29, l'un des enjeux est le financement des pays en voie de développement pour qu'ils se développent justement sans pétrole et sans charbon. Pouvez-vous appeler pourquoi c'est important de parvenir à un accord ?

Parce que les pays en développement représentent une part très importante de la population mondiale. Et si cette population mondiale accède au même niveau de vie que les pays occidentaux, avec les mêmes méthodes de production d'énergie, notamment fossiles, on sera là encore à plus de 4 degrés. Donc il faut absolument que le développement de ces pays se fasse de la façon la moins carbonée possible.

Donc ce n'est pas faire la charité aux pays en voie de développement.

D'abord, ce sont les pays occidentaux qui sont responsables du changement climatique depuis un siècle et demi, on a mis une quantité invraisemblable de CO2 dans l'atmosphère. On a imposé cet accident à des victimes : les pays du Sud. Maintenant, ils nous demandent des comptes et nous, on ne veut pas indemniser la victime, de cet accident, dont nous avons la responsabilité.

L'ambition de départ était d'atteindre 100 milliards d'aides par an. Est-ce que c'est suffisant ?

Alors, les pays du Sud, aujourd'hui, mettent sur la table à Bakou une proposition où ils demandent plus de 1 000 milliards de dollars par an. En 2009, on a mis sur la table 100 milliards par an, c'était l'accord de Copenhague lors de la COP15. Et aujourd'hui, effectivement, c'est très insuffisant.

Rien qu'en France, il faudrait consacrer 60 milliards d'euros par an au changement climatique, selon le dernier rapport Mahfouz-Pisani-Ferry, dont la moitié d'argent public. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce montant ?

Oui, on est dans l'ordre de grandeur de 2 à 4% du PIB français. Ce n'est pas négligeable. En fin de compte, c'est quand même les gens qui vont payer, soit à travers des impôts plus importants si ce sont des subventions publiques, soit à travers des biens carbonés qui seront plus chers, parce que les producteurs seront pénalisés pour continuer à utiliser ces produits.

Mais on en est loin. Le fait de réduire de moitié l'enveloppe dédiée à l'achat d'un véhicule électrique dans le prochain budget, entre le bonus écologique, le leasing et la prime à la conversion, on voit bien qu'on est loin de ces 60 milliards par an consacrés au changement.

Il n'y a plus d'argent dans les caisses et il y a des priorités qui sont majeures, dans l'éducation, dans la santé. Le gouvernement est en grande difficulté vis-à-vis de ça. Mais quel que soit le gouvernement, l'équation est extrêmement complexe et les gens ne veulent pas payer. Les gens, ils veulent d'abord la fin du mois avant la fin du monde. C'est vrai depuis un certain nombre d'années et c'est encore plus vrai aujourd'hui avec l'élection de Donald Trump, avec de vraies interrogations sur ce que les politiques vont pouvoir réussir à imposer comme sacrifices à la population, aux citoyens, aux électeurs, pour réaliser des objectifs qu'on voudrait bien tous atteindre. Mais dont on n'a pas complètement encore réalisé l'importance des coûts. Et vous venez de le rappeler, 60 milliards d'euros par an en France, c'est important.

Alors, on n'est pas du tout à la hauteur de ces ambitions-là.

Il faut que les citoyens comprennent que chaque fois qu'ils émettent une tonne de CO2 dans l'atmosphère, ils sont responsables de plusieurs milliers d'euros de dommages qui seront portés par les générations futures. Tant que le citoyen n'a pas compris ça, il ne votera pas pour des politiciens qui mettront en place des stratégies de réduction d'émission de CO2, c’est-à-dire des sacrifices portés par les citoyens.

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