Ehpad : "Il faut injecter massivement des financements pour remettre ces établissements à flot, qu'ils soient publics, associatifs, privés", alerte le président du Synerpa
À la veille de la présentation du budget de l'Etat et de la Sécurité sociale, prévue jeudi 10 octobre, et alors que le gouvernement prépare les esprits à des efforts considérables pour redresser les comptes publics, l'inquiétude se fait de plus en plus vive chez certains secteurs, notamment celui des services à la personne et des Ehpad.
Notre invité, Jean-Christophe Amarantinis, est le président du Synerpa, première confédération des acteurs privés du grand âge. Le Synerpa représente les acteurs des Ehpad, des soins à domicile. Ce sont 300 000 personnes hébergées et aidées, et 150 000 salariés au total.
D'après un document de travail du budget de la Sécu, qu'a pu consulter franceinfo, le déficit de la Sécu sera de l'ordre de 18 milliards d'euros cette année, bien plus qu'attendu au départ.
franceinfo : Jean-Christophe Amarantinis, la seule branche vieillesse représente plus de 6 milliards d'euros. Qu'est-ce que cela vous inspire ? Craignez-vous des mesures d'économies ?
Jean-Christophe Amarantinis : En effet, on redoute des mesures d'économies importantes et on est extrêmement inquiets, puisque nous interpellons les pouvoirs publics depuis plusieurs mois, avec nos collègues des autres fédérations. Car le secteur des Ehpad est en grande difficulté financière, économique et ceci depuis plusieurs mois.
Il y avait un plan grand âge attendu depuis longtemps par vos fédérations et promis par Emmanuel Macron ?
Oui malheureusement, les informations que nous avons pour l'instant nous laisse augurer une certaine austérité budgétaire qui, encore une fois, nous inquiète fortement.
Comment cette austérité budgétaire peut se traduire concrètement pour les Ehpad notamment ?
Les Ehpad sont en difficulté, notamment à cause de ce que l'on appelle les tarifs administrés, qui sont des recettes qui sont fixées par l'assurance maladie et par les départements, donc les collectivités territoriales. Ces tarifs-là, ces recettes-là sont insuffisantes et n'ont pas suivi l'inflation et l'augmentation des charges de ces deux dernières années. Donc l'effet aujourd'hui, est que ces établissements sont en décalage entre leurs recettes et leurs charges.
"Il faudrait une injection importante de capitaux au sein de ces établissements pour les remettre à flot. Alors le fait qu'un coup de rabot soit annoncé nous inquiète fortement."
Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpasur franceinfo
Et vous avez des informations qui vous laissent dire que ce coup de rabot va être une réalité ?
Nous n'avons pas d'information sur les chiffres tels qu'ils vont être mis en œuvre au niveau de ce PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) 2025. Mais comme nous n'avons pas d'informations concrètes qui nous laissent augurer que nous serons pris en considération au niveau de nos demandes, nous sommes extrêmement inquiets quant au traitement de nos revendications et de nos réclamations.
En attendant, dans les Ehpad, les conditions de travail se dégradent-elles ? On sait que vous avez des besoins de recrutement énormes.
Oui, et donc nous essayons de mettre en œuvre des politiques de fidélisation, d'attractivité au niveau des salariés. Ce sont des métiers en tension, des métiers pénibles, et donc nous essayons d'organiser le travail pour que ce soit moins pénible et plus valorisant, donc en essayant d'être plus attractif en termes de rémunération.
Combien gagnent les personnels des Ehpad aujourd'hui ?
Je n'ai pas en tête les salaires qui sont pratiqués au niveau du personnel soignant, mais ce sont des salaires qui sont conventionnels, avec toute une série d'intéressements, une série de primes spécifiques. D'ailleurs, notre secteur commercial, n'a pas bénéficié ces derniers mois de ce qu'on appelle les primes de suggestions - des mesures qui ont été octroyées par l'ex-Première ministre en juillet 2023 - aux secteurs public et au secteur associatif. Et donc les Ehpad commerciaux qui font le même job, et notamment le personnel soignant qui a les mêmes responsabilités que leurs collègues des établissements publics associatifs, n'a pas pu bénéficier de ces mesures-là. Donc c'est extrêmement pénible et inquiétant là aussi, parce que ça crée une espèce de fuite du personnel soignant, du secteur commercial vers d'autres établissements de statut différent.
Vous n'avez donc pas bon espoir de pourvoir à tous les postes en souffrance… D'autant que les chiffres sont très impressionnants : le nombre de personnes âgées ne va ne faire qu'augmenter jusqu'en 2030 pour atteindre plus de six millions de personnes. Il y a une urgence démographique à traiter.
Tout à fait. Il y a ce qu'on appelle un "tsunami démographique" auquel va être confrontée la France. Avec plus de 50% de personnes âgées supplémentaires entre 75 ans et 85 ans, à horizon 2030 et 2040. Donc pour accompagner cette augmentation de l'espérance de vie et ce besoin en soins et en accompagnement de la dépendance, on va avoir besoin de 400 000 personnes supplémentaires à recruter, à former et à fidéliser. Donc ça va être compliqué.
"On va avoir besoin de 400 000 personnes supplémentaires à recruter, à former et à fidéliser."
Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpasur franceinfo
Le Premier ministre Michel Barnier n'a pas eu un mot pour le grand âge lors de sa déclaration de politique générale. Est-ce un oubli ou un signe qui montre que ça ne fait pas partie de ses priorités politiques du moment ?
Je pense que ça a été un oubli, certainement. Ses conseillers ne l'ont pas, certainement, sensibilisé à ce sujet-là. Mais nous nous sommes empressés dès le lendemain de faire passer des messages et différents communiqués de presse pour sensibiliser à la fois le Premier ministre et toutes ses équipes. Il y a d'autres priorités qui ont été annoncées, comme notamment la santé mentale. On a dans notre organisation, dans nos dans nos priorités, des sujets d'accompagnement des personnes âgées désorientées, qui sont atteints de pathologies d'Alzheimer et de pathologies mentales. Donc, on est dans cette dynamique également de priorité d'accompagnement des personnes atteintes de pathologies d'Alzheimer.
Si vous aviez des choses à demander concrètement aujourd'hui au nouveau gouvernement ou nouveau Premier ministre, quelles seraient-elles ?
La première priorité, c'est d'injecter massivement ce que l'on appelle des financements dans les dotations de soins pour remettre ces établissements à flot, tous secteurs confondus, publics, associatifs, privés. De façon à pouvoir les remettre en équilibre et de manière à ce qu'ils fassent leur métier correctement et qu'ils ne soient pas menacés financièrement. Et ensuite traiter les personnels des différents établissements de manière équitable, comme lorsque je l'ai évoqué pour les mesures Borne. Et également miser sur des augmentations d'effectifs, pour que des établissements de soins offrent des conditions de travail moins pénibles, en augmentant le nombre de salariés rattachés à ces structures, et notamment les personnels soignants.
Alors, parmi les pistes qui sont contenues dans le projet de loi de Sécu qu'on a pu consulter, il y a l'extension de l'expérimentation d'un forfait unique, et non plus divisé entre une partie du financement venant de l'ARS et une autre du département. Est-ce que c'est une bonne piste ?
C'est ce qu'on appelle la fusion des forfaits soins et dépendance. Nous y sommes favorables. Un guichet unique, un interlocuteur unique, en l'occurrence l'Agence régionale de santé, qui serait l'interlocuteur des établissements, les tarifierait et délivrerait une recette unique. Ça aurait le mérite d'avoir un seul interlocuteur et surtout de pouvoir discuter avec une seule autorité, cela permettrait d'anticiper et de financer de manière pluriannuelle et par anticipation, toute une série d'engagements et d'investissements pour les établissements. Donc on y est favorable à 200 %.
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