Entreprises : le député Renaissance Marc Ferracci veut "supprimer les exonérations de cotisations sur les hauts salaires"

Le député Renaissance Marc Ferracci a rédigé avec le député socialiste Jérôme Guedj, un rapport qui étudie les effets des exonérations de cotisations des entreprises sur les créations d'emplois. En tant que spécialiste du travail, il dénonce leur manque d'efficacité quand elles concernent les hauts salaires.
Article rédigé par franceinfo, Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le député Renaissance Marc Ferracci était l'invité éco de franceinfo le lundi 9 octobre 2023. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Des solutions pour augmenter les salaires et notamment les plus bas salaires, ce sera l'objet de la conférence sociale qui se tiendra dans une semaine tout juste autour de la Première ministre Élisabeth Borne, avec les partenaires sociaux, les syndicats et le patronat.

>> Bas salaires : Élisabeth Borne menace de sanctionner les employeurs qui conservent des grilles de salaires en dessous du Smic

Marc Ferracci, député Renaissance, spécialiste du travail, explique pourquoi il compte déposer un amendement concernant les créations d'emplois qui ne sont pas au rendez-vous, d'après son rapport sur les exonérations de cotisations patronales.

franceinfo : Vous vous êtes penché sur un outil qui est censé favoriser l'emploi en France : ce sont les exonérations de cotisations famille, retraites, maladie. Vous montrez dans un rapport que vous avez rédigé avec le député socialiste Jérôme Guedj, que ces exonérations qui ont explosé pour atteindre 73,6 milliards d'euros l'an dernier. C'est énorme. Comment est-ce possible ?

Marc Ferracci : C'est plutôt le fruit d'une bonne nouvelle parce que les exonérations sont calculées sur la masse salariale. Donc quand l'emploi augmente, ce qui est le cas aujourd'hui, et quand les salaires augmentent, ce qui est le cas aujourd'hui, les exonérations augmentent. Néanmoins, vous avez raison, ça coûte extrêmement cher au budget de l'État. Il y a un enjeu très important : ce que nous avons voulu faire dans ce rapport, c'est d'en évaluer les effets, de savoir si toutes les exonérations créent bien de l'emploi.

Et justement, est-ce qu'il faut maintenir ces exonérations ?

La réponse n'est pas la même suivant que les exonérations portent sur les hauts salaires ou sur les bas salaires.

Sur les bas salaires, les exonérations sont efficaces. Mais ce qu'on démontre dans ce rapport, en auditionnant beaucoup de chercheurs, mais aussi beaucoup d'acteurs de terrain, c'est que les exonérations qui portent sur les hauts salaires, entre 2,5 et 3,5 Smic (entre 4 000 euros et 6 000 euros) ne créent pas beaucoup d'emplois.

Marc Ferracci

à franceinfo

Elles n'améliorent pas beaucoup la compétitivité des entreprises. Et donc nous proposons dans ce rapport de supprimer les exonérations qui portent sur les hauts salaires et de maintenir celles qui portent sur les bas salaires.

Combien d'argent vous récupérez si vous supprimez ces exonérations de cotisations sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic ?

Ça représente 1,5 milliard euros, ce qui est faible par rapport à la totalité des allègements : pour le budget de l'année prochaine, on va approcher les 80 milliards. Néanmoins, on a choisi de s'intéresser à des exonérations, dont beaucoup d'études montrent qu'elles ne sont pas efficaces, pour avoir une approche rationnelle, efficace de la dépense publique. Avec une dette de 3 000 milliards d'euros et des taux d'intérêt qui remontent, on doit faire tout ce qui est en notre pouvoir de député, de législateurs, pour s'assurer que les euros qu'on dépense au nom des Français atteignent leur objectif. Et ce n'est pas le cas pour les exonérations sur les hauts salaires.

Vous savez que le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, ne veut pas entendre parler de cette suppression de l'exonération des cotisations sur les hauts salaires ?

On aura ce débat et j'espère que nous l'aurons dans l'hémicycle. Moi, je vais probablement déposer un amendement en ce sens. J'espère que nous aurons l'occasion de manière très courtoise, très républicaine de débattre sur ce sujet. Mais au-delà de ce 1,5 milliard d'euros d'exonérations, il y a une histoire de méthode derrière tout ça. On se donne l'objectif d'évaluer de manière systématique la dépense publique.

Vous montrez que ces exonérations ne sont pas efficaces, mais votre avis diverge de celui du député socialiste Jérôme Guedj sur le réemploi de ce 1,5 milliard euros.

Effectivement, on a la même recommandation de supprimer ces exonérations, mais on n'a pas forcément les mêmes idées sur à quoi on utilise ce milliard et demi d'euros. Moi, je souhaite qu'on n'augmente pas le coût du travail pour les entreprises. Donc on recycle ce milliard et demi d'euros dans des baisses de charges ou de fiscalité pour les entreprises, à condition qu'elles soient plus efficaces en termes de créations d'emplois.

Vous voulez donc renforcer les exonérations de cotisations entre un Smic et un Smic et demi. Est-ce que vous ne craignez pas de renforcer ce qu'on appelle les trappes à bas salaires, qui freineraient l'augmentation du salaire au long de la carrière ?

Avec ce rapport, on a demandé si effectivement il y avait ces effets de trappes à des endroits particuliers, par exemple à l'endroit où vous avez des seuils, où les exonérations deviennent moins importantes à 1,6 Smic. Est-ce que, à cet endroit-là, des employeurs disent "je n'ai pas envie d'aller au-delà parce que ça va me coûter plus cher" ? Ce que disent les études, c'est qu'il n'y a pas de nombreux salaires qui restent collés à ce seuil et qui n'augmentent pas au-delà de 1,6 Smic. Néanmoins, on reste prudent.

Les bas salaires seront le sujet de la conférence sociale qui se tient lundi prochain. Soixante branches ont toujours des grilles de salaires qui sont en dessous du Smic. Est-ce qu'il faut conditionner les exonérations de cotisations à la négociation ?

Oui, c'est une proposition qui est dans l'air. Déjà 60 branches, c'est beaucoup. Si on regarde juste les branches qui n'ont pas négocié depuis plus d'un an. Il y en a 11 ou 13. Donc il faut quand même relativiser. Est-ce qu'il faut conditionner les exonérations de charges au fait d'avoir des minima de branches en dessous du Smic ? On s'est intéressé à cette question dans ce rapport. Ça nous paraît compliqué et nous ne recommandons pas de le faire pour plusieurs raisons. La première, c'est que c'est très difficile de savoir comment vous traitez deux entreprises de la même branche, dont l'une garde des salaires bas, c’est-à-dire tassent les salaires autour du Smic, parce que les minima sont en dessous du Smic. Il faut quand même rappeler que si les minima sont en dessous du smic, ça ne signifie pas que les gens sont payés en dessous du Smic. Cela signifie que plein de salariés qui n'ont pas forcément les mêmes qualifications sont payés au smic. Et ça, effectivement, c'est quelque chose de dommageable. On veut lutter contre ça. Néanmoins, une entreprise qui fait ça et une entreprise qui a des salaires plus élevés, qui sont plus généreux que la convention collective, n'ont pas forcément vocation à être traitées de la même manière. Si vous leur supprimez les exonérations à toutes les deux, ce n'est pas juste et vous n'êtes pas dans une démarche efficace.

Donc ça se passe pas au niveau de la branche professionnelle ?

Alors effectivement, on pourrait envisager de conditionner au niveau de l'entreprise. Ce qu'on a vu dans ce rapport, c'est que ça existait déjà. En fait, dans notre droit, il y a une loi de 2008 qui dit aux entreprises "si vous ne négociez pas sur les salaires effectifs dans votre entreprise, on peut vous couper une partie des exonérations". Le problème, c'est que cette loi n'a pas du tout atteint ses objectifs. Elle a touché quelques dizaines, quelques centaines d'entreprises et ça représentait quelques millions d'euros pour un total qu'on évoquait tout à l'heure, entre 70 et 80 milliards d'euros. Donc on voit que c'est très compliqué à faire. On peut en revanche contraindre les branches à fusionner, ce qu'elles n'aiment absolument pas faire, si elles ne renégocient pas leurs minima, ça, ça peut être efficace. Et puis je vais ouvrir sur quelque chose d'autres, un moment ou un autre, pour augmenter son salaire, il faut augmenter sa qualification et sa productivité. Moi, je suis pour qu'on investisse plus, y compris un peu plus d'argent public, dans la formation des salariés les plus modestes, dans la formation des salariés les moins qualifiés. Et j'espère que la conférence sociale évoquera ce sujet aussi.

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